dimanche 20 décembre 2009

Chez nous - Marilynne Robinson

Nous revoici à Gilead, petite ville de l'Iowa, qui fut aussi le titre du précédent roman de Marilynne Robinson. L'auteur nous faisait alors part des réflexions du révérend Ames, vieillissant, écrivant une longue lettre pleine d'amour pour son jeune fils de 7 ans. Dans la dernière partie du récit, Ames apprenait le retour de Jack Boughton, le fils de son voisin et ami, alors qu'il avait quitté, fui, la maison familiale vingt ans auparavant suite à un évènement difficile. Il s'agissait du retour tant attendu et surprenant de l'enfant prodigue.

Dans "Chez nous", nous assistons aussi au retour de Jack mais cette fois-ci du point de vue des Boughton. Il y a là, le père, ancien pasteur presbytérien, malade et très faible et sa fille, Glory, petite dernière de la fratrie de 8 enfants. Glory a bientôt 40 ans, elle est revenue pour s'occuper de son père mourant. Elle a quitté son travail d'enseignante et a subi aussi une grande déception amoureuse. Jack fut un garçon difficile, menteur, voleur, solitaire, en éternelle souffrance, devenu alcoolique. Et malgré tout, il fut le fils préféré. Ce sont donc deux enfants, adultes maintenant mais paumés qui viennent chercher refuge dans la maison familiale.

Dans ce livre merveilleux, l'auteur prend son temps pour nous décrire l'arrivée de Jack, mal à l'aise, malheureux, honteux. Les trois personnages s'observent, s'épient, s'apprivoisent. On veut à tous prix éviter les sujets qui blessent. Glory et son père craignent un nouveau départ, une nouvelle fuite. Alors, les pas de Jack dans les escaliers sont écoutés, Glory passe dans sa chambre pour vérifier que ses affaires sont encore là lorsqu'il tarde à revenir d'une promenade. Et puis, l'ambiance se fait plus douce et chaleureuse. Le frère et la soeur se retrouvent souvent dans la cuisine, autour d'un café. Les langues se délient. Ils se confient l'un à l'autre avec souvent des petites pointes d'humour, d'autodérision qui leur permettent de dédramatiser les évènements douloureux qu'ils ont vécus l'un et l'autre. Mais aussi, peu à peu, le père cherche à savoir. Il culpabilise, il accuse. Qu'est-ce qui s'est passé? Quelles erreurs ont été commises pour que cet enfant ne se sentent pas à sa place dans cette famille?
L'auteur nous fait part avec une grande intelligence de l'extraordinaire complexité des relations humaines mais aussi, en se penchant sur la vie de Jack, de la difficulté de vivre lorsque l'on ne se sent pas appartenir à une communauté, exclu.
Un livre très émouvant, emprunt d'une grande mélancolie, avec des personnages attachants que l'on a du mal à quitter. L'auteur le termine par une ouverture positive vers l'avenir qui nous laisse penser qu'elle nous mènera de nouveau à Gilead. Je l'espère déjà.

"Chez nous" de Marilynne Robinson
Titre original: "Home", 2008, chez Farrar, straus & Giroux.
Actes Sud, 2009 traduit par Simon Baril
446 pages
Prix UK Orange Prize 2009

dimanche 13 décembre 2009

Le grand Quoi - Dave Eggers


J'ai vraiment apprécié "L'énigme du retour" de Dany Laferrière qui a obtenu cette année le Prix Médicis. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas trop hésité à me lancer dans la lecture de "Le grand Quoi" de Dave Eggers, le Prix Médicis du roman étranger.

Dave Eggers a recueilli puis retranscrit le témoignage de Valentino Achak Deng dont la vie terrible, mouvementée, dramatique, en fait un personnage extraordinairement romanesque.

Valentino est d’origine soudanaise et vit à Atlanta depuis plusieurs années. Il commet l'erreur d'ouvrir son appartement alors qu'une jeune femme frappe à sa porte. Il se retrouve face à 2 voleurs particulièrement agressifs qui le bâillonnent et le ligotent afin de lui voler toutes ses affaires. A partir de cet épisode violent, Valentino se remémore les différents évènements sanglants qu'il a vécus lors de la guerre civile soudanaise. A 8 ans, alors qu'il habite un petit village du nom de Marial Bai au sud du Soudan, Valentino est contraint de fuir précipitamment en laissant derrière lui les membres de sa famille, au cours d'une attaque de cavaliers arabes, les Murahaleen. Nous le suivons ensuite, avec tout un groupe d'enfants que l'on appellera "les enfants perdus", traversant à pied déserts et marécages, en direction de l'Ethiopie. Il sera rejoint par des milliers de personnes, fuyant la guerre civile et qui constitueront le camp de réfugiés de Pinyudo. Notre narrateur nous mène ensuite vers les camps du Kénya où il séjournera pendant plus de dix ans, puis dans son voyage vers les Etats-Unis.

Valentino est encore très jeune mais il a déjà vécu une vie en enfer, frôlant la mort des dizaines de fois, assistant à celle de ses proches, amis, famille, autant de fois et dans des circonstances vraiment terribles. Il s'agit ici d'un récit, très simplement écrit mais particulièrement émouvant. Par de nombreux allers-retours entre sa vie actuelle et ses souvenirs en Afrique, il nous fait part de sa difficulté de vivre aux Etats-Unis où il doit subir pauvreté, affronts racistes mais aussi du réconfort que lui apportent les rapports chaleureux avec ses compatriotes, exilés comme lui, et ses amours. Le livre comporte plus de 600 pages avec aussi parfois malheureusement quelques longueurs. Sa lecture vaut surtout, à mon sens, pour sa première partie où l'on retrouve Valentino, alors enfant vivant heureux avec ses parents au Soudan puis basculant soudainement vers les horreurs de la guerre civile.

"Le grand Quoi" de Dave Eggers
Editions Gallimard 2009 - 624 pages
Titre original: "What is the what"

mercredi 2 décembre 2009

James Lee Burke - Dans la brume électrique

Cherry LeBlanc, une jeune fille de dix-neuf ans a été violée et sauvagement assassinée dans les quartiers sud de New Iberia en Louisianne. Julie Balboni, un grand truand notoire, dealer, proxénète, originaire de la ville est de retour pour suivre le tournage d'un film qu'il finance. Un corps momifié d'un noir, enchaîné, est retrouvé dans le marais. Dave Robicheaux, adjoint des services du shérif, ne ménage pas sa peine pour résoudre ces différentes affaires qui viennent perturber les habitants de sa paroisse bien tranquille à l'ordinaire. Il sera bientôt rejoint par l'agent spécial Gomez, une jeune recrue du FBI.
Nous sommes dans le sud de la Louisianne: ambiance tropicale près du bayou, moustiques, odeur de pourriture, de poisson, sueur...

"L'odeur qui rappelait les relents lourds, grisâtres et salés d'un cadavre de rat en train de pourrir, s'accrochait à la chaleur du jour, et la nuit, portée par le vent, pénétrait les moustiquaires... "p29

L'atmosphère est glauque et lourde et renforce le malaise ressenti par notre héros vite empêtré dans tout un tas de problèmes insolubles.
La couverture du livre l'illustre bien. Nous sommes en Amérique! Gros bras, gros calibres, méchants à volonté, dialogues bien salés. Je me suis facilement laissée embarquer par ce polar de J. Lee Burke.
Et c'est Antigone qui m'a donné envie de le lire


"Dans la brume électrique" de James Lee Burke
Rivages/Noir 480 pages
Titre original: "In the electric mist with confederate dead" Hyperion books 1992

mercredi 25 novembre 2009

Sorj Chalandon - La légende de nos pères

Le récit débute par un enterrement. Un enterrement dans le froid, la grisaille du Nord. Le narrateur enterre son père, un ancien résistant, un homme simple et discret.
"Ce héros sans lumière, ce résistant, ce brave, ce combattant dans son coin d'ombre" (p22).
Beaucoup de regrets lors de ce triste jour mais le plus grand est d'être passé à côté de la vie de cet homme, pas du papa mais du père.
"J'avais manqué mon père, mais il ne m'avait pas aidé non plus. La paix l'avait rendu à la vie simple, aux souvenirs de peu de mots. Il se mêlait rarement aux célébrations communes. Il commémorait à regret. Il avait trouvé la guerre terrible, et la Libération injuste."(p23)
Le narrateur, ancien journaliste à la Voix du Nord, est devenu par hasard un "biographe familial". Il écoute puis retranscrit par ses mots le récit de la vie des gens désireux de transmettre à leur descendance leurs souvenirs, des anecdotes de leur existence, qui prennent finalement l'apparence d'un livre. Un jour, une jeune fille mystérieuse, Lupuline, aux chaussures rouges, vient lui commander la biographie de son père. Elle aimerait que les histoires merveilleuses et passionnantes qu'il lui racontait dans son enfance soient retranscrites. Il s'agit essentiellement de récits d'épisodes de la Résistance qui ont fait de ce père, un Héros. Le narrateur voit là une chance de rattraper sa propre histoire et accepte de rencontrer le vieil homme et de l'écouter.
S. Chalandon m'a immédiatement emporté dans cette histoire familiale. Le thème de la transmission me touche. Les phrases sont courtes, percutantes. L'auteur aime trouver les mots justes pour décrire au plus près ses personnages. Il cherche les rides, les regards, les mains qui se croisent. Le récit se déroule à Lille, lors de la canicule de 2003 et nous percevons très bien la chaleur qui se fait de plus en plus oppressante sur les corps, sur l'atmosphère de l'appartement, alors que les questions du narrateur se font incisives et dérangeantes.
J'ai beaucoup apprécié ce livre.

"La légende de nos pères" de Sorj Chalandon
Editions Grasset 2009 - 254 pages

samedi 21 novembre 2009

Du temps pour lire...

C'est sûr, elle arrive à chaque fois, fatalement, la question. La question est: "Qu'est-ce qu'on fait ce week-end???" Aïe!! Ce serait bien parfois de pouvoir répondre: "on s'installe bien confortablement dans le canapé, et on lit toute la journée..., OK toute l'après-midi...".

samedi 7 novembre 2009

Yanvalou pour Charlie - Lyonel Trouillot

C'est la lecture d'un échange intéressant entre Dany Laferrière et Lyonel Trouillot, publié il y a quelques temps par le blog "Encres noires", qui m'a donné envie de lire "Yanvalou pour Charlie" à la suite de "l'Enigme du retour". Les deux écrivains haïtiens abordent la vie en Haïti par deux approches totalement différentes mais qui se complètent. Alors que l'écriture poétique de D. Lafferière permet d'adoucir la dure réalité haïtienne, nous la prenons en pleine figure chez L. Trouillot.

Charlie, un jeune garçon de la rue à Port-au-Prince, débarque en détresse dans la vie de Mathurin D. Saint-Fort pour lui demander de l'aide. Ce dernier, brillant avocat, est originaire du même petit village que Charlie mais a cherché à gommer tout ce qui représente sa vie antérieure, jusqu'à son nom. Il a réussi à se construire une vie sans vie, bien calfeutrée, sans plaisir mais aussi sans heurt, sans émotion, sans blessure.

"Depuis mon départ du village, j'ai toujours joué pour moi. Et je jouerai toujours pour moi. C'est comme çà. Je suis comme çà. Les expériences n'ont pour moi aucune valeur en soi. Je ne retiens des évènements et des rencontres que la somme des procédés de construction de soi et d'autoprotection qui pourront m'être utiles. Je ne saigne jamais du coeur et j'ai rompu depuis longtemps avec les douleurs affectives. C'est plus simple." (p22)
L'arrivée de Charlie va bien entendu très rapidement faire basculer cet édifice qu'il s'était construit peu à peu en le replongeant dans la rue, la pauvreté, la violence mais aussi la solidarité, et les relations humaines passionnelles. Il va se retrouver dans cet enfant, ne sachant plus parfois si les propos qu'il rapporte viennent de lui ou de Charlie.

"Le premier jour, voilà ce que tu as dit. Tu as dit aussi de te pardonner, que tu n'avais pas le choix. Je crois que tu l'as dit, mais je n'ai pas de certitude. Cette partie-là, je ne sais plus si elle est de moi ou si elle est de toi. Si je l'ai lue dans tes yeux sans que tu la prononces. Ou si je l'ai inventée, après. Aujourd'hui je n'arrive pas toujours à distinguer mes mots des tiens. Il me semble que nous avons marché en nous tenant la main pour traverser beaucoup de choses."(p62)

Nous retrouvons comme chez D. Laferrière l'opposition à Port-au-Prince entre les quartiers des riches, aseptisés, sur les hauteurs, loin des centres villes et ceux des pauvres dans les bas-fonds, la boue, le bruit des autres. Mais nous sommes ici parfois très malmené par L. Trouillot qui nous fait partager la dure réalité des laissés-pour-compte. Malgré tout, ce livre nous délivre finalement un message d'espoir, d'amour, par le biais d'une correspondance entre Mathurin et une femme qu'il aime depuis toujours.

"Yanvalou pour Charlie" de Lyonel Trouillot
Edition Actes Sud- 2009
175 pages

mardi 13 octobre 2009

La liste des 100 livres préférés des français

Une liste des 100 livres préférés des français circule beaucoup en ce moment sur la blogosphère. Elle est issue d'un ancien sondage paru dans "Lire".
"Gangoueus" et Liss m'ont donné envie de la présenter moi aussi. Avec, en rouge, les livres que j'ai lus.
J'avoue que pour un grand nombre, je conserve très peu de souvenirs de leur lecture. Difficile de dire quels sont mes préférés car les goûts évoluent. Cependant ceux qui m'ont le plus marqués lors de leur lecture sont: "Germinal", "la nuit des temps", "le meilleur des mondes", "la peste", "l'écume des jours", "les raisins de la colère", "Pour qui sonne le glas", "Cent ans de solitude", "Le deuxième sexe".
Apparaissent dans cette liste, mes grandes lacunes des "classiques".
1. La Bible
2. Les Misérables de Victor Hugo
3. Le petit prince d'Antoine de Saint-Exupéry
4. Germinal d'Emile Zola
5. Le Seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien
6. Le rouge et le noir de Stendhal
7. Le grand Meaulnes d'Alain-Fournier
8. Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne
9. Jamais sans ma fille de Betty Mahmoody
11. La gloire de mon père de Marcel Pagnol
12. Le journal d'Anne Frank
13. La bicyclette bleue de Régine Deforges
14. La nuit des temps de René Barjavel
15. Les oiseaux se cachent pour mourir de Colleen Mc Cullough
16. Dix petits nègres d'Agatha Christie
17. Sans famille d'Hector Malot
18. Les albums de Tintin de Hergé
19. Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell
20. L'Assommoir d'Emile Zola
21. Jane Eyre de Charlotte Bronte
22. Dictionnaires Petit Robert, Larousse
23. Au nom de tous les miens de Martin Gray
24. Le comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas
25. La cité de la joie de Dominique Lapierre
26. Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley
27. La peste d'Albert Camus
28. Dune de Frank Herbert
29. L'Herbe Bleue d'Anonyme
30. L'étranger d'Alber Camus
31. L'écume des jours de Boris Vian
32. Paroles de Jacques Prévert
33. L'alchimiste de Paulo Coelho
34. Les Fables de Jean La Fontaine
35. Le Parfum de Patrick Suskind
36. Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire
37. Vipère au poing d'Hervé Bazin
38. Belle du Seigneur d'Albert Cohen
39. Le Lion de Joseph Kessel

40. Huit-Clos de Jean-Paul Sartre
41. Candide de Voltaire
42. Antigone de Jean Anouilh
43. Les lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet
44. Premier de cordée de Roger Frison-Roche
45. Si c'est un homme de Primo Levi
46. Les Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur
47. Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne
48. Les fourmis de Bernard Werber
49. La Condition Humaine d'André Malraux
50. Les Rougon-Macquart d'Emile Zola
51. Les rois maudits de Maurice Druon
52. Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand
53. Les Hauts de Hurlevent d'Emily Bronte
54. Madame Bovary de Gustave Flaubert
55. Les Raisins de la Colère de John Steinbeck
56. Le Château de ma mère de Marcel Pagnol

57. Voyage au centre de la Terre de Jules Verne
58 La Mère de Pearl Buck
59. Le pull-over de Gilles
60. Mémoires de guerre de Charles de Gaulle
61. Des grives aux loups de Claude Michelet
62. Le Fléau de Stephen King
63. Nana d'Emile Zola
64. Les petites filles modèles de la Comtesse de Ségur
65. Pour qui sonne le glas d'Ernest Hemingway
66. Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez
67. Oscar et la Dame Rose d'Eric-Emmanuel Schmitt
68. Robinson Crusoé de Daniel Defoe
69. L'île mystérieuse de Jules Verne
70. La Chartreuse de Parme de Stendhal
71. 1984 de Georges Orwell
72. Croc-Blanc de Jack London
73. Regain de Jean Giono
74. Notre-Dame de Paris de Victor Hugo
75. Et si c'était vrai de Marc Levy
76. Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline
77. Racines d'Alex Haley
78. Le père Goriot d'Honoré de Balzac
79. Au Bonheur des Dames d'Emile Zola
80. La Terre d'Emile Zola
81. La nausée de Jean-Paul Sartre
82. Fondation d'Isaac Asimov
83. Le vieil homme et la mer d'Ernest Hemingway
84. Louisiane de Maurice Denuzière
85. Bonjour Tristesse de Françoise Sagan
86. Le Club des cinq d'Enid Blyton

87. Vent d'Est, Vent d'Ouest
88. Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir
89. Les cavalier de Joseph Kessel
90. Jalna de Mazo de la Roche
91. J'irai cracher sur vos tombes de Boris Vian
92. Bel-Ami de Guy Maupassant

93. Un sac de billes de Joseph Joffo
94. Le pavillon des cancéreux d'Alexandre Soljenitsyne
95. Le désert des Tartares de Dinon Buzzati
96. Les enfants de la terre de Jean M.Auel
97. La 25ème heure de Virgil Gheorghiu
98. La Case de l'Oncle Tom de H. Beecher-Stowe
99. Les Thibault de Roger Martin du Gard
100. Le silence de la mer de Vercors

mercredi 7 octobre 2009

L'énigme du retour - Dany Laferrière

Voici un livre dont il est très difficile de passer à côté en ce moment. Alain Mabanckou sur son blog et l'interview de Dany Laferrière dans "La grande librairie" m'ont vraiment donné envie d'en faire l'acquisition et de m'y plonger sans attendre. Je n'ai pas été déçue.

Exilé depuis une trentaine d'années à Montréal, le narrateur/auteur natif de Port-au Prince, apprend le décès de son père. Il décide alors de retourner au pays, en Haïti, où vivent encore sa mère, sa soeur et son neveu dans lequel il se retrouve au même âge.
Peu d'actions dans ce livre, le narrateur nous fait part de ses sentiments lors de son voyage du Grand Nord vers New-York où a vécu son père lui aussi en exil depuis de nombreuses années, puis vers Port-au-Prince. Le récit se présente en deux parties "lents préparatifs de départ" et "le retour". Un "en avant" vers un "en arrière". Nous passons cependant très lentement d'un endroit à un autre, d'une époque à l'autre, sans véritables ruptures dans l'état d'esprit du narrateur visiblement déboussolé. Cherchant sa place, désenchanté, mal partout, dans le Grand Froid, dans le Chaud, étranger:
"Arrivé au nord, il m'a fallu me défaire
de toute la réalité du sud
qui me sortait par les pores.
J'ai mis trente-trois ans pour m'adapter
à ce pays d'hiver où tout est si différent
de ce que j'avais connu auparavant.

De retour dans le sud après toutes ces années
je me retrouve dans la situation de quelqu'un
qui doit réapprendre ce qu'il sait déjà
mais dont il a dû se défaire en chemin" p127

Puis peu à peu, le ton change. Imperceptiblement, les sentiments se font plus doux, le propos plus positif. L'auteur rencontre les membres de sa famille, ses anciens amis, des artistes peintres, et réussit de nouveau à être touché par la beauté de ce qui l'entoure, par les plaisirs simples: nager dans une eau fraîche, manger du poisson dans un guinguette au toit de chaume près de la mer, discuter avec sa mère sur la galerie...

Il s'agit bien ici d'un récit sur les problèmes liés à l'exil mais de nombreux autres thèmes y sont abordés: les problèmes en Haïti, la pauvreté, la force des femmes, figures stables et courageuses de son histoire...
Un livre que je prendrais plaisir à relire, à feuilleter. Où je reviendrais piocher ici où là, au hasard, les beautés de l'existence.

"L'énigme du retour" de Dany Laferrière

Editions Grasset 2009. 300 pages.



lundi 7 septembre 2009

Little Bird - Craig Johnson

Et bien voilà. J'ai moi aussi succombé à la tentation de lire ce polar à la mode du moment. J'en ai entendu parler pour la première fois par une libraire de Saint-Malo, dans une émission littéraire sur le festival "les Etonnants voyageurs"... Craig Johnson serait le nouvel Jim Harrison! etc..."

Sur la 4ème couverture, l'auteur porte un chapeau de cow-boy et juste au-dessus du titre, une photo en noir et blanc de plumes d'indiens. Me voici dans l'ambiance. Le récit se déroule dans le Wyoming, comté d’Absaroka. Grands espaces enneigés, le blizzard, les Bighorns Mountains, Walt Longmire, le shérif, évolue dans une nature magnifique, grandiose mais aussi parfois redoutable. Près d'une réserve cheyenne, le corps de Cody Pritchard est découvert dans la neige, tué d'une balle de gros calibre. Cet homme avait participé au viol d'une jeune fille cheyenne, Melissa, quelques années auparavant et avait pourtant été condamné à une faible peine. On pense donc à un règlement de compte...

J'ai apprécié l'intrigue et cette plongée dans cet univers particulier, isolé, où la nature est omniprésente. J'ai cependant été un peu déçue par le dénouement. Mais là n'est pas l'important. Comme souvent dans les bons polars, ce sont les relations que l'auteur tisse entre les personnages, les seconds rôles qui séduisent. Walt Longmire, très déprimé depuis la mort de sa femme, se laisse aller et s'appuie sur le travail de son adjointe, la dynamique et compétente Vic. Grande râleuse, au franc parlé, elle adore bien évidemment son supérieur. Ce dernier traîne aussi souvent au "Red Pony", bar plutôt miteux, tenu par son ami indien, Henry Standing Bear. Les dialogues entre les deux hommes sont souvent drôles et font mouche. C’est alors aussi l’occasion pour l’auteur d’évoquer les relations entre les blancs et les indiens du comté encore souvent tendues et pleines d’incompréhension.
Bref, un bon moment de lecture... Ouaip.

vendredi 28 août 2009

Contes et Légendes de Bretagne - Yves Pinguilly et Joëlle Jolivet


En vacances en Bretagne, j'ai essayé de transmettre à mes enfants cette sensation toute particulière que l'on peut y ressentir en présence de ses vieilles pierres, cloîtres, landes et autres hortensias. Des clichés? Pas tant que çà.
Quoi de mieux que de leur raconter quelques légendes du pays...korrigans, le marais des enfers de Plonévez-ar-Faou, les contrebandiers, les flots, la bruyère, Gwazig, Nolwenn, Louarn... quelques mots seulement et nous voilà dans l'ambiance.
Les textes sont de Yves Pinguilly qui, nous dit-il a "interprété des moments de la tradition, comme un musicien d'aujourd'hui interprète pour ses contemporains les partitions de musiques d'hier". Les dessins en noir et blanc, plein de courbes, volutes sont de Joëlle Jolivet et collent merveilleusement à l'ambiance particulièrement sombre, mystérieuse, qui se dégage de ces histoires. Les bretons ici ne sont pas vraiment à la fête! Ils sont pauvres, ils sont affamés, l'Ankou (la mort) les guette avec sa faux, les marins partis au loin ne reviennent pas, les femmes aimables sont des manouès-noz (revenante ou sorcière). Parfois cependant quelques jeunes bretonnes bien malines arrivent à déjouer le malin.
Bref, un très bon moment avec ce livre qui est en plus un bel objet, belle couverture, reliure dorée.
La pire des pires: "Qui voit Ouessant voit son sang" Brrr!! elle est vraiment lugubre celle-là.
"Contes et Légendes de Bretagne"
Yves Pinguilly et Joëlle Jolivet.
Editions Nathan 1998. 177 pages


lundi 24 août 2009

Un roi sans divertissement - Jean Giono

Voici un livre extraordinaire!

Lorsque j'étais adolescente, j'ai lu avec énormément de plaisir "Que ma joie demeure" et "Colline" de J. Giono. Pour mes vacances, cet été, je me suis dit que ce serait délicieux de retrouver cet auteur, sa Provence, Manosque, ses personnages simples, les herbes sèches, la rocaille, les parfums du pays.

J'ai rapidement constaté que "Un roi sans divertissement" n'avait pratiquement rien à voir avec l'atmosphère décrite dans ces 2 textes précédemment écrits. Mais c'est un roman époustouflant, impressionnant par sa forme complexe, par son écriture, par les thèmes abordés...

Le récit se passe dans un village des montagnes du Trièvres essentiellement en hiver. Le livre présente trois parties, chacune d'elles se terminant par une mort sanglante. Je résumerai uniquement la première. Elle s'étend sur 3 années (de 1843-45). En hiver 43, une jeune fille du village disparaît mystérieusement en plein après-midi, après être sortie de chez elle en chaussons, se dirigeant vers le hangar. Peu à peu d'autres habitants disparaissent, sans laisser de traces, sauf quelques gouttes de sang sur la neige. A chaque arrivée de l'hiver, les gens se terrent dans leur maison, se méfient de tout. On parle du diable, du mauvais oeil, d'un monstre. A la deuxième disparition, quelques gendarmes sont dépêchés au village, dirigés par le capitaine Langlois. Ce dernier devient alors une figure très importante, un héros de la région. Il est ensuite l'objet principal des 2ème et 3ème parties du récit.

J. Giono arrive très bien à nous plonger dans une atmosphère lourde, oppressante. La nature y est comme dans ses livres précédents très présente mais elle est ici souvent hostile. Il fait froid, la neige isole les habitants du monde extérieur.

"D'ailleurs, tout de suite après il se met à tomber de la neige. A midi, tout est couvert, tout est effacé, il n'y a plus de monde, plus de bruits, plus rien. Des fumées lourdes coulent le long des toits et emmantellent les maisons; l'ombre des fenêtres, le papillonnement de la neige qui tombe l'éclaircit et la rend d'un rose sang frais dans lequel on voit battre le métronome d'une main qui essuie le givre de la vitre puis apparaît dans le carreau un visage émacié et cruel qui regarde." (p22)

En relisant quelques passages pour écrire ce billet, je me suis rendue compte que l'auteur nous fournit tout au long du récit énormément de pistes, d'indices nous mettant nous mêmes sur la trace des disparus. Le texte est riche, foisonnant, source de nombreuses interrogations, spéculations...
J'ai lu par hasard ce roman dans une collection particulière de Gallimard à destination des lycéens. Elle propose, insérés dans le texte, 3 "Arrêt sur lecture", des détails biographiques, le contexte historique, des propositions de commentaires composés etc...
J'avoue avoir trouvé parfois très complexe la lecture accompagnée effectuée par Nathalie Beauvois, une professeure agrégée de lettres modernes. Aaah... je n'ai pas le niveau lycée...!Cependant, sans elle, je serai passée à côté de quelques éléments qui m'ont vraiment intéressés. Elle y aborde notamment la notion d'intertextualité. Deux oeuvres sont en effet très présentes dans le roman de J. Giono. Il s'agit des "Pensées" de B. Pascal et de "Perceval ou le conte de Graal" de Ch. de Troyes. Pour Pascal, "le divertissemnt est méprisable, preuve de la faiblesse des hommes et même des rois, qui ne peuvent être en face face avec l'idée de la mort..."
"Qu'on en fasse l'épreuve, qu'on laisse un roi tout seul, sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l'esprit, sans compagnies, penser à lui tout à loisir, et l'on verra qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misères" (p89 dans "Pensées" de B. Pascal. Edition Folioplus)
L'oeuvre de Ch. de Troyes intervient surtout dans la description des tâches de sang sur la neige.

Bref, par l'intermédiaire de cette lecture de J. Giono, je suis tombée dans le puits sans fond de la connaissance...et en pure autodidacte j'ai beaucoup aimé.

"Un roi sans divertissement" de Jean Giono
Editions La bibliothèque Gallimard 1948 pour le texte, 2003 pour l'accompagnement pédagogique par Nathalie Beauvois. 291 pages.

lundi 20 juillet 2009

Composition française, Retour sur une enfance bretonne - Mona Ozouf

J'ai énormément apprécié la lecture de ce livre de Mona Ozouf.
J’y suis venue après avoir visionné la 3ème émission du Bateau Libre. J’ai alors été fortement impressionnée par la personnalité de l’auteure.
M. Ozouf nous décrit dans un premier temps son enfance en Bretagne, avant la guerre, puis sa jeunesse étudiante à Paris où elle adhère au parti communiste. Elle est la fille unique de deux instituteurs. Son père, ardant défenseur de la culture et de la langue bretonne, meurt subitement alors qu’elle n’a que 4 ans. Elle va ensuite vivre dans le logement de fonction de l’école publique d’un petit village des Côtes d’Armor, Plouha, en compagnie de sa mère et de sa grand-mère maternelle. Solitaire, elle n’a pour seul horizon que la cour de l’école et se réfugie volontiers dans les livres et les manuels scolaires. Très vite, elle se trouve confrontée à trois mondes, trois écoles, qui s'opposent:
« Trois pèlerinages, donc, qui résumaient assez bien les trois lots de croyance avec lesquelles il me fallait vivre : la foi chrétienne de nos ancêtres, la foi bretonne de la maison, la foi de l’école dans la raison républicaine. A elles trois, ces croyances composaient ce que j’appellerais volontiers ma tradition. » (p145).
Ces trois écoles (de la Bretagne, de la France, de l'Eglise) qui font l'objet de trois chapitres différents dans ce livre l'ont construite mais leurs oppositions l'ont aussi parfois déstabilisée.
Peu à peu, en nous faisant part de ses souvenirs d'enfance et de jeunesse, M. Ozouf nous mène avec un grand talent à son dernier chapitre intitulé "Composition française" où elle cherche à comprendre l'origine et les mécanismes qui ont amené la France à gommer les particularismes régionaux. Elle revient alors sur la Révolution française et la création de la République: "Ce qui frappe alors en effet dans le discours révolutionnaire, c'est la réduction vigoureuse du multiple à l'un: toutes les revendications particulières semblent bourgeonner sur le même tronc de traîtrise à la patrie, toutes doivent s'évanouir devant l'impérieuse nécessité de l'unité" (p188).
Finalement, cette réflexion sur "la tension entre l'universel et le particulier" amène l'auteure à aborder certains problèmes contemporains que la France peine à gérer: la parité hommes-femmes, le problème du voile à l'école etc...
Outre les propos très intéressants développés dans ce livre, j'ai été aussi très sensible à la lecture du chapitre intitulé "La Bretagne incarnée" où l'auteure nous parle de sa grand-mère, avec de nombreuses expressions bretonnes. Avec par exemple:
"Sa règle morale est de ne jamais se mettre dans une situation telle que l'on puisse avoir honte. "Gand ar vez", "avec la honte", est l'expression qui pour elle englobe tout ce qu'il est inconvenant de faire et même de penser. (p45)
ou encore
"Une pensée aussi pour l'abbé Cleac'h qui chaque dimanche en chaire pourfend l'école publique, "skol an diaoul", l'école du diable, et les mistri difeiz", les instituteurs sans foi? (p62).

Un livre passionnant donc pour son propos mais aussi très touchant.
Un dernier petit paragraphe mais ils sont tellement nombreux, de qualité, que je pourrais en citer beaucoup:
"En chacun de nous, en effet, existe un être convaincu de la beauté et de la noblesse des valeurs universelles, séduit par l'intention d'égalité qui les anime et l'espérance d'un monde commun, mais aussi un être lié par son histoire, sa mémoire et sa tradition particulières. Il nous faut vivre tant bien que mal, entre cette universalité idéale et ses particularités réelles" (p241)

Et pour finir, un petit clin d'oeil:
La chanson de l'équipe de foot de Saint Pol de Léon (p97)
"Bénissons la providence
De nous avoir faits bretons, bretons, bretons
Nous avons bien de la chance
d'être de Saint Pol de Léon, Léon, Léon."
"Composition française, Retour sur une enfance bretonne" de Mona Ozouf.
Editins Gallimard, 2009. 259 pages.

mardi 30 juin 2009

Syngué sabour Pierre de patience - Atiq Rahimi


Quelque part en Afghanistan. Dans un appartement presque vide, une femme veille sur son mari, allongé sur un matelas à même le sol, alimenté par une simple solution d’eau sucrée-salée. Elle prie, elle lit le coran, elle s’allonge près de l’homme, elle cale sa respiration sur la sienne, lui touchant la poitrine, la barbe, les yeux. Puis tout d’un coup, elle n’en peut plus d’attendre, elle s’énerve, elle aimerait qu’il se réveille, elle a peur, elle est seule avec ses deux petites filles. Aux alentours, on se bat, les tirs sont très proches, un char entre dans le jardin de la voisine.
Atiq Rahimi plante son décor avec des phrases courtes, très sobres. Il est la voix «off », seule la femme parle. L’homme est immobile, dans le coma, il l'entend peut-être. Au début du récit, elle peine à dire ce qu’elle ressent, elle termine rarement ses phrases, peu habituée à exprimer ses idées. Puis petit à petit, elle se lâche, elle déverse sur son mari impassible, ses frustrations, ses craintes, ses malheurs de femme soumise, ses reproches. Il devient sa « pierre de patience » « Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate… Et ce jour-là, on est délivré »
J’ai été rapidement totalement absorbée par le récit très émouvant de cette femme. Mais j'ai aussi trouvé ce texte extrêmement violent et éprouvant.
C’est le hasard, la présentation des livres de ma bibliothèque sur l’étagère des « nouveautés », mais je viens d’enchaîner trois lectures qui m’ont bien chamboulée, et j’aspire à des textes plus réjouissant ! Si vous avez des idées, conseils… n’hésitez pas !


"Syngué sabour" "Pierre de patience" d'Atiq Rahimi.
Edition P.O.L 2008 155 pages
Prix Goncourt 2008

samedi 27 juin 2009

L'intérieur de la nuit - Léonora Miano

Nous sommes en Afrique, dans un pays imaginaire nommé le Mboasu. Ayané, étudiante en France depuis plusieurs années revient à Eku, son village d'enfance, alors que sa mère, qu'elle n'a pas vue depuis 3 ans, est très malade.
Le récit se déroule essentiellement dans ce lieu très retiré, isolé géographiquement par des collines et par une brousse épaisse où personne n'ose s'y aventurer. Le village est la plupart du temps abandonné par les hommes, partis travaillés à la grande ville proche. Ne restent donc que les femmes, les enfants et les vieillards vivant encore suivant des traditions ancestrales.

"C'était aux femmes qu'il incombait de biner et de sarcler, les hommes ayant le devoir de prendre la route, selon une tradition dont le temps avait gommé l'origine et le sens" (p13).

Depuis quelques temps les villageois ne quittent plus le village, soumis à une injonction émise par une troupe de rebelles décidés à prendre le contrôle du pays. Un soir, un groupe de miliciens armés, pénètre dans le village. Commence alors la nuit où des actes effroyables vont être commis sous les yeux des villageois totalement impuissants et soumis.

Léonora Miano a donc peu à peu très bien planté le décor, nous amenant avec un grand talent à une scène clé de l’intérieur de cette nuit effrayante. Le ton est pourtant neutre, froid, presque scientifique. Nous sommes en présence d’un microcosme humain mis en place par l’auteur pour essayer d'analyser la réaction d’un groupe face à la violence et à la mort.
Par l’intermédiaire d’Ayané, partie depuis longtemps du village et qui n’a fait qu’effleurer les traditions de son peuple, L. Miano aborde aussi la douloureuse question de l’exil et de la recherche de l'identité.

« Allongée sur son lit, elle se posait la question de la valeur réelle du diplôme pour lequel elle souhaitait rentrer en France. Que lui apporterait-il comme certitudes, et comment lui permettrait-il d’être au monde moins douloureusement ? Pour le moment, il n’y avait que ces deux boules noires qui s’entrechoquaient dans sa poitrine, se livrant une bataille résolue : l’Afrique et elle. Bien sûr, elle aimait l’Afrique. Et qui pourrait ne pas l’aimer ? Tous ceux qui avaient vu cette terre avaient voulu la posséder. La difficulté c’était les gens. Ces gens qui étaient aussi elle-même et dont elle ne parvenait pas à s’approcher, sur lesquels son regard était toujours celui d’une étrangère. » (p203)

Un beau texte, fort, captivant mais aussi oppressant, nous mettant en présence de scènes parfois difficilement soutenables. Merci à Gangoueus de me l'avoir fait découvrir.

"L'intérieur de la nuit" de Léonora Miano
Editions Plon, 2005. 209 pages

mercredi 10 juin 2009

de A à X - John Berger

Dans ce livre, John Berger nous dit être "entré en possession de lettres envoyées et non envoyées"*1 , écrites par Aïda à l'homme qu'elle aime, Xavier, incarcéré à vie dans la prison de Suse pour activités terroristes. Elle n'a pas de droit de visite car ils ne sont pas mariés. Les lettres dont nous prenons connaissance constituent donc la seule possibilité d'échanges entre les deux personnages. Ce sont de magnifiques lettres d'amour, très simples, spontanées et donc aussi très émouvantes. Aïda essaie d'y faire revivre son quotidien, les minuscules détails qui illustrent sa vie et qui en font le sel:

"Une cuvette rouge entre mes pieds, je suis assise sur le toit, dans ce que tu appelles la quatrième chambre. De la confiserie du coin, dans la rue, s'élève une odeur de vanille brûlée. Une odeur du soir. On ne la sent jamais le matin. Il est déjà huit heures et demie, et les gens choisissent encore le trottoir qui était à l'ombre. Deux martinets volent entre les toits. De tout ce que je vois en cet instant, je sais que c'est çà qui te donnerait le plus de plaisir: le spectacle de ces martinets."*2

Elle se remémore aussi avec plaisir les différents moments importants de leur vie de couple: leur rencontre, un vol en avion où "X" était le pilote etc... Nous n'avons pas accès aux réponses de "X" mais parfois au dos des lettres, sont notées certaines de ses réflexions militantes qui contrastent durement avec la chaleur des messages d'Aïda.
Nous n'avons pas d'informations sur les lieux où se déroulent leur histoire mais Aïda décrit une ville assiégée où règne la peur, où l'armée est omniprésente et intervient avec violence. John Berger nous met sur la voie lors de la présentation des lettres au début du livre, Aïda est semble t-il une activiste, elle aussi, et en parle en utilisant un langage codé dans ses lettres. La dimension politique de ce livre est donc également très importante et passionnante.

J'en viens alors à parler d'une deuxième possibilité de lecture de ce livre qui m'a vraiment emballée, je dois le dire. John Berger nous offre une énigme. Je me suis par exemple posée de nombreuses questions sur le classement des lettres, elles se trouvent dans trois paquets différents et n'apparaissent donc pas dans un ordre chronologique. Pourquoi certaines lettres n'ont pas été envoyées? etc...

"Je pense à tes lettres que je relis tôt le matin, quand les jours entre se heurtent et s'entrechoquent comme des wagons de marchandises, et je pense à mes lettres que tu lis dans ta cellule, et je souris en pensant à leur immense secret qui est le nôtre, à toi et à moi".*3

J'ai effectué tout un tas de recherches sur les quelques pistes que nous proposent l'auteur, par exemple sur le nom de la ville où se trouve la prison "Suse", sur "Crocodilopolis", Cogito 1002 etc... J'ai ainsi pris connaissance de l'univers très riche de John Berger que je découvre ici. Bref ce livre m'a passionné!

*1: p13
*2: p114
*3: p199

Un clin d'œil à Aline pour cette lecture partagée.

"de A à X" de John Berger
Editions de l'Olivier-2009- 211 pages
Traduction par Katya Berger Andreadakis
Première édition en 2008 chez Verso

dimanche 7 juin 2009

Gilead - Marilynne Robinson

John Ames est pasteur à Gilead, une petite ville de l'Iowa, près du Kansas. A plus de 70 ans, son coeur est très faible et il sent venir sa mort. Il décide alors d'écrire une longue lettre à son jeune fils unique de 7 ans afin de lui parler de sa propre enfance aux côtés de son père et de son grand-père, eux-mêmes pasteurs, de le conseiller sur sa vie future et surtout de lui exprimer tout son amour.
Nous sommes dans une région où le climat est rude, sec, les habitants sont pour la plupart très misérables mais le narrateur nous décrit son attachement à cette terre, à cette ville où il a toujours vécu:

"J'aime la Grande Prairie! Tant de fois j'ai vu l'aube se lever, la lumière se répandre sur la plaine, sur chaque chose se mettre à rayonner au même instant tandis que le mot"bon" s'affirmait si profondément dans mon âme que j'étais ébahi qu'on m'autorise à assister à un tel spectacle".*1


En toile de fond de cette longue lettre, nous percevons la guerre de sécession, la lutte pour l'abolition de l'esclavage, les Free Soilers (abolitionistes), "ceux qui ne s'allient pas à la grande cause, les dough faces" *2 (les têtes molles) ainsi que les divisions que cela pouvaient engendrer, dans la propre famille du pasteur. Son grand-père, cheveux hirsutes, borgne, excentrique, distribuant autour de lui le peu qu'il possède était un activiste forcené de la lutte contre l'esclavage et prit même les armes finalement. Pour ces raisons, il fut, une grande partie de sa vie, en totale opposition avec son propre fils, le père du narrateur qui refusait le combat armé.
L'auteur nous parle donc essentiellement dans ce livre des relations père-fils, de la transmission des valeurs (le pasteur conserve dans son grenier des centaines de sermons qu'il a écrit tout au long de sa vie) mais aussi du bonheur de l'existence:

"Ces derniers temps j'ai réfléchi à l'existence. En fait, j'ai éprouvé tellement d'admiration pour l'existence que c'est à peine que j'ai pu en profiter convenablement"*3.

Le narrateur nous propose de nombreux allers-retours entre passé et présent et réussit à alterner en finesse, de profondes réflexions sur sa foi, sur ses propres limites dans sa relation aux autres, sur la mort etc...avec la description de détails futiles de son quotidien, les jeux de son fils avec son chat, le base-ball, les expressions sur le visage de sa femme ...

Ce livre m'a fait un bien fou!

*1: p330
*2: p237
*3: p68

"Gilead" de Marilynne Robinson
Actes Sud 2007. 331 pages
Pulitzer Prize for Fiction
National Book Critics Circle Award

lundi 25 mai 2009

Annie Ernaux - La place

Lorsque j'ai créé ce blog, j'ai été confrontée à la tâche difficile de rédiger "mon profil". Difficulté, vite contournée dans la mesure où je n'ai pratiquement rien écrit. Mais il m'était possible de faire une liste de "mes livres préférés" ou "auteurs préférés" par exemple, comme j'ai pu le voir chez certains blogueurs. Dans cette dernière rubrique, j'aurai certainement pu y mettre Annie Ernaux.

Je me souviens très bien des circonstances dans lesquelles j'ai lu, j'ai dévoré, "La place", il y a quelques années. Je me revois le livre à la main, ne le lâchant pas avant que sa lecture ne soit terminée. En me baladant récemment sur la blogosphère, j'ai été étonnée de voir un billet et commentaires très critiques sur ce court récit et de constater combien nos lectures peuvent être si différentes. J'ai donc eu envie de relire ce livre.

Quelques temps après la mort de son père, la narratrice, A. Ernaux, ressent le besoin d'écrire sur sa vie:

"je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l'adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n'a pas de nom. Comme de l'amour séparé." *1

Avec une écriture qui se veut être une "écriture plate"*2, l'auteure choisit minutieusement et cherche à toucher au plus près les différents évènements qui ont marqué et constitué la vie de son père mais aussi construit sa propre existence. Initialement travailleur agricole, il devint ensuite ouvrier puis enfin propriétaire avec sa femme d'un petit café-épicerie. Il s'agit donc ici d'un destin ordinaire, une vie de peu où la moindre amélioration est le fruit d'un dur labeur. Peu à peu la jeune fille qu'est A. Ernaux, se détache de ce père, de son monde pour suivre des études de lettres et se marier. L'auteure cherche alors à mettre en évidence les petits riens qui illustrent et qui pourraientt expliquer cet éloignement.

On ressent beaucoup de tristesse, de regrets dans ce récit très émouvant. J'ai donc de nouveau énormément apprécié ce livre. A. Ernaux a un style vraiment particulier que j'ai retrouvé par la suite dans ses autres livres comme "Une femme" ou "la honte". Son grand talent vient du fait qu'en décrivant le particulier, qu'en retraçant sa propre histoire, elle réussit à mettre en avant les éléments qui ont constitué une époque et nous pouvons ainsi tous nous y retrouver.


*1:p23
*2:p24
"La place" d'Annie Ernaux
Gallimard-1983-114 pages


Prix Renaudot en 1984

jeudi 14 mai 2009

Victor Hugo - Le dernier jour d'un condamné

Lors d'un retour dans la maison familiale pendant les vacances, j'ai réussi in extremis à sauver d'une destruction certaine des livres ayant appartenu à mes frère et sœur. Ce sont des livres dit "classiques" que j'ai donc ramenés chez moi et avec parmi eux "Le dernier jour d'un condamné".

Il s'agit ici d'un récit à la première personne d'un prisonnier décrivant ses états d'âme, ses craintes, ses regrets, ses rêves alors qu'il sait depuis 5 semaines qu'il sera mis à mort sur la place de Grève.
Le texte présente trois parties correspondant à des lieux mais aussi à des espaces temps différents se terminant par la mort: le condamné est dans son cachot, il est ensuite transféré à la conciergerie, il est en place de Grève. L'auteur réussit très bien à nous transmettre l'état de tension croissante dans lequel se trouve le prisonnier passant par des phases d'abattement total, d'espoir, de colère et de résignation. Nous accompagnons totalement le prisonnier vers sa fin.
Une des originalités du texte pour l'époque est qu'aucune information nous est donnée sur le condamné: nous ne connaissons pas son identité, son origine, nous savons qu'il y a eu crime mais nous ne savons pas dans quelles circonstances etc... Par ce biais, V. Hugo entend bien sûr tendre à l'universalité du propos mais cependant, il semblerait au vue des différentes notes supplémentaires de l'époque qui nous sont fournies dans la collection Folio classique que cela ait gêné la lecture de certains de ces contemporains. Nous pouvons lire par exemple un extrait d'une critique de l'époque:

"Dérober ainsi au lecteur les éléments qui eussent satisfait sa curiosité, c'est à dire, en fait, le priver du mobile même de sa lecture. N'est-ce pas là, sur le plan de la plus élémentaire stratégie narrative, une erreur grave sinon une inconvenance?"*1

Par ailleurs, par les dires mêmes du condamné, nous sommes certains qu'il a commis le crime dont il est accusé. L'auteur ne discute donc pas du fait qu'il y a peut-être une erreur de jugement. Il décrit seulement l'ignominie de la mise à mort.

"Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée poignante que dans l'homme qu'ils retranchent il y a une intelligence, une intelligence qui avait compté sur la vie, une âme qui ne s'est point disposée pour la mort? Non. Ils ne voient pas dans tout cela que la chute verticale d'un couteau triangulaire, et pensent sans doute que pour le condamné, il n'y a rien avant, rien après."*2

Le beau texte se suffit à lui-même pour nous captiver mais la présence des différents documents en fin d'ouvrage m'a aussi beaucoup intéressée et m'a permis de me plonger dans cette période vraiment fascinante du 19ème siècle. J'ai appris par exemple qu'il s'en ait fallu de peu pour que la peine de mort soit abolie dès 1830. Ce récit m'a enfin permis d'évaluer combien les propos de Victor Hugo étaient modernes.

"Tout est prison autour de moi, je retrouve la prison sous toutes les formes, sous la forme humaine comme sous la forme de grille ou de verrou. Ce mur, c'est de la prison en pierre, cette porte, c'est de la prison en bois, ces guichetiers, c'est de la prison en chair et en os. La prison est une espèce d'être horrible complet, indivisible, moitié maison, moitié homme. Je suis sa proie; elle me couve, elle m'enlace de tous ses replis. Elle m'enferme dans ses murailles de granit, me cadenasse sous ses serrures de fer et me surveille avec ses yeux de geôlier."*3

*1: p417
*2: p286
*3: p314

La collection Folio Classique présente aussi dans ce livre un autre récit "Bug-Jargal, dont je ne parlerai pas ici.

"Le dernier jour d'un condamné" de Victor Hugo précédé de "Bug-Jargal"
Préface de Roger Borderie
Folio classique- 442 pages
Editions Gallimard 1970 pour la préface, notices et notes.

mardi 12 mai 2009

Dinaw Mengestu - Les belles choses que porte le ciel

"Les belles choses que porte le ciel" fait partie de ces livres que je lis rapidement, pressée que je suis de connaître le dénouement de l'intrigue, mais aussi pour lesquels je regrette de devoir quitter si vite les personnages tant je m'y suis attachée.
J'ai tellement peur que l'histoire se termine mal, je ne le supporterai pas, que je lis la fin et des pages centrales avant d'avoir terminé réellement sa lecture.

Je l'ai pourtant choisi initialement uniquement pour son titre. "Les belles choses...", j'avais envie de positif, de réjouissant et de léger.

Léger est ce livre effectivement mais c'est seulement un petit air qu'il veut se donner, il aborde en effet des questions bien intéressantes. Le héros s'appelle Sepha Stephanos. Il a fui dans sa jeunesse l'Ethiopie lors de la révolution des années 70 et habite dans un quartier pauvre de Washington, occupé essentiellement par des noirs. Sa mère et son jeune frère sont encore au pays. Il est propriétaire d'une petite épicerie qui est au bord de la faillite et passe son temps libre en compagnie de deux amis, Kenneth originaire du Kenya et Joseph de la République démocratique du Congo qui viennent le rejoindre le soir venu. L'emménagement de Judith, jeune femme blanche cultivée et aisée, accompagnée de sa fille, dans la maison voisine va perturber la vie de Sepha mais aussi celle du quartier.
L'auteur nous montre la difficulté pour Sepha de trouver sa place dans cette deuxième patrie alors qu'il est en exil depuis de nombreuses années, sa nostalgie pour l'Ethiopie et pour son ancienne vie avec sa famille. Il est confronté à la décision de choisir son nouveau style de vie:

"Soit je suis parti pour me créer une nouvelle vie, libre des contraintes et des limites culturelles, soit j'ai tourné le dos à tout ce que j'étais et à tout ce qui m'avait constitué" *1

Le récit de la vie de Sepha a Washington est entrecoupé de retours douloureux, brutaux, sanglants sur le passé en Ethiopie qui offrent un contraste frappant avec son nouveau quotidien. Il est ici aussi beaucoup question de sa recherche de sentiment de sécurité. Il essaie de se créer un doux cocon avec ses amis, il aime ses habitudes, les éclairages chaleureux de son épicerie, il recherche la chaleur humaine dans les bus bondés etc...

Sepha est un personnage vraiment attachant, plein d'humour qui nous donne à voir ses espoirs déçus, mais aussi ses petites réussites, son sentiment de solitude, sa recherche d'amour... Sentiments auxquels nous pouvons tous nous identifier.

*1: p160


"Les belles choses que porte le ciel" de Dinaw Mengestu
Albin Michel- Terres d'Amérique- 2007
304 pages
Traduction de Anne Wicke

vendredi 8 mai 2009

Stéphane Audeguy - Nous autres

Pierre, photographe à Paris, débarque au Kenya pour récupérer le corps de son père, mort dans de mystérieuses circonstances. Il ne l’a vu qu’une seule fois auparavant alors qu’il avait 13 ans et connaît donc très peu de choses de sa vie. Ses premiers contacts avec les lieux sont ceux de la majorité des touristes mais peu à peu Pierre s’immerge dans le pays, apprend à le connaître et à l’aimer.
Par de très courts chapitres, l’auteur insère dans son récit la description de destins tragiques de kenyans soumis à l’exploitation de grandes firmes internationales, de blancs désabusés, souvent parachutés dans ce pays et venant y vivre leur spleen et leurs échecs. Passé et présent s’entremêlent grâce à la voix des « Nous autres » qui se manifestent parfois dans le récit et qui viennent doucement souffler sur l’épaule de Pierre. Ce sont les témoins du passé, les esprits bienveillants des ancêtres :

« …, depuis le temps, et dans cette nuit du Kenya, nous veillons sur les morts et sur nos descendants, sur les bantous qui jadis s’en allèrent vers la côte, il y de çà bien deux mille deux cents ans, sur les colons arabes et les colons persans, sur les nomades nilotiques, sur les portugais et même sur les anglais ». *1

Comme un fil rouge dans le roman nous suivons aussi en parallèle la construction de la voie ferrée qui relie Mombasa au lac Victoria. Voie ferrée, source de souffrances pour les travailleurs venant des quatre coins du monde pour la construire mais qui sera finalement empruntée par Pierre lors d’un moment de bonheur.
Ce n’est pas un Kenya de cartes postales, Parcs nationaux et safaris, que nous présente ici S. Audeguy mais un pays de misère, de bidonvilles, de fer rouillé, de pollution, de discothèques sordides, de prostituées fatiguées. Cependant l’auteur nous fait aimer ce pays en nous contant aussi l'histoire de beaux personnages, croyant à leur bonne étoile et qui a force d’obstination et d’amour réussissent à trouver le bonheur et la sérénité.
La particularité du style de l'auteur que j'apprécie beaucoup, vient du fait qu'il ne nous livre pas les pensées, la psychologie des différents personnages. Il décrit les faits, leurs actions. Il est neutre. Nous devenons donc, comme les mystérieux "Nous autres", nous aussi de simples spectateurs bienveillants des différents destins qui nous sont racontés.

« Ici et là des chemins de terre rouge montent vers la large route. Des hommes et des femmes, le vêtement impeccable, la démarche élégante, s’avancent vers cette route et leurs pieds sont nus, ils tiennent à la main leurs chaussures. Dans le froid et le silence sortant des bidonvilles et des vallées humides, ils prennent leur place dans la file de ceux qui descendent vers la ville, et bientôt ils traversent le parc Uhuru, ils se rincent les pieds à de mornes fontaines, enfilent leurs chaussures et s’en vont travailler. Pendant une semaine, Pierre se promène, sans autre boussole que le hasard. »*2
Un très bon roman.

*1 : p29
*2: p121

Un clin d'œil à Aline pour cette lecture partagée.

« Nous autres » de Stéphane Audéguy
Gallimard- 2009
253 pages.

dimanche 19 avril 2009

Jean Echenoz- Courir


Pas grand chose à faire de bien réjouissant pour Emile dans la petite ville de Zlin, Moravie, dans les années 40: l'usine Bata pour les chaussures, Tatra pour les voitures, une équipe de football et une course à pieds, nommée "Parcours de Zlin". Emile a 17 ans lorsque les allemands entrent dans sa ville et c'est par hasard et presque contraint qu'il participe à cette fameuse course alors qu'il n'aime pas le sport. Il ne gagne pas mais prend plaisir à courir, "tout gentil qu'il est, il s'aperçoit qu'il aime aussi se battre"*1. Emile, c'est le fameux Emil Zatopek, "la locomotive" que nous suivons dans ce livre. En toile de fond, la guerre 39-45, l'occupation par les allemands, les différents régimes socialistes qui se succèdent en Tchécoslovaquie. Ils ne savent pas trop quoi en faire de ce héros populaire, de "ce phénomène du socialisme réel"*2 qui risquerait cependant de tenter un passage à l'ouest.
J'ai beaucoup apprécié la lecture de ce récit très court, haletant, qui m'a donné envie d'en savoir plus sur la vie de ce héros à la personnalité finalement très complexe. Jean Echenoz en a fait un personnage de roman car tout y est pour nous plaire dans cette existence: les origines modestes, l'ascension vers la gloire, le sommet, l'amour, les conflits politiques, la chute...
Un bon moment de lecture.
"Courir" de Jean Echenoz
Les éditions de Minuit-2008
142 pages
*1:p18
*2: p66

mercredi 1 avril 2009

Arturo Pérez-Reverte- Le peintre des batailles


Il s'agit ici d'un roman très sombre, envoûtant, particulier dans l'oeuvre d'A. Pérez-Reverte, un de ses plus personnels semble-t-il.
Nous assistons à un huis clos inquiétant et fascinant entre deux personnages. Faulques est un ancien photographe et vit retiré dans une ancienne tour de guet située, face à la mer, sur la côte sud espagnole. Il y peint, à même les murs, une grande fresque, tentant de représenter ce qu’ont été pour lui tous les évènements sanglants, toutes les batailles auxquels il a assisté.
Le deuxième personnage, Markovic, un ancien combattant croate, entre rapidement en scène. Une photo de lui, prise par Faulques au cours de la guerre en Bosnie, a fait le tour du monde et a eu des conséquences tragiques sur le déroulement de sa vie. Il vient demander des comptes au photographe.
Commence alors une longue conversation où il est question de la cruauté des hommes, de l’art, de la peinture et de la photographie.
C’est aussi l’occasion pour le peintre des batailles de replonger dans son passé où il revit les moments intenses vécus avec son ancienne compagne, Olvido. Nous voyageons alors vers des destinations délicieuses comme Venise, Florence, Londres où il est question de tableaux d’Uccello, Goya, Piero della Franscesca mais aussi vers les horreurs des massacres en Bosnie, au Liban etc…
L’omniprésence de la fresque constitue un élément important du livre accentuant son côté sombre. Nous n’en finissons pas de la découvrir dans cette tour peu éclairée, froide, qui contraste avec la lumière presque toujours éblouissante des après-midis d’été. Nous distinguons des éléments grâce à des carrés lumineux provenant des quelques fenêtres de la tour mais aussi à la faveur de la flamme du briquet de Markovic. Une œuvre donc très mystérieuse qui nous révèle peu à peu ses secrets et un roman excellent, pour ma part.

« Le peintre des batailles » d’Arturo Pérez-Reverte
Points- 270 pages.
Première édition française au Seuil en 2007.
Traduction de François Masperol

jeudi 19 mars 2009

Alain Mabanckou - Verre cassé


Verre cassé est le surnom d'un ancien instituteur à la dérive, client assidu d’un bar congolais « le Crédit a voyagé » et grand buveur du vin rouge Sovinco. Un jour, le patron « l’Escargot entêté », lui offre un cahier et lui propose de raconter la vie des habitués. Verre cassé écrit alors sans arrêt, dans l’urgence, des portraits très colorés et drôles, d’hommes de son univers essentiellement, et comme lui à la dérive. La plupart d’entre eux ressassent un évènement de leur vie qui les a fait basculer dans une spirale infernale dont ils n’arrivent pas à sortir. Verre cassé revendique le droit de vivre à sa façon, en marge, de se soûler. Il l’assume. Cependant peu à peu, son ton change, il nous livre quelques pistes expliquant sa déchéance et n’apparaît plus seulement comme un bon vivant.

J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre. Je peux lire en 4ème de couverture de mon livre de poche, une critique de Bernard Pivot "Verre cassé est une oeuvre truculente, exubérante, bavarde, tonitruante, d'un comique sans retenue". Oui c'est vrai, mais je trouve ce commentaire trop réducteur. Ce livre est bien plus que cela. Sous couvert de portraits cocasses de son entourage, il pose de nombreuses questions, par exemple sur les causes de la déchéance d’un homme et sur l’influence néfaste de son environnement social.
Alain Mabanckou a ici un style très particulier, original, que j’ai beaucoup apprécié. Le livre ne commence pas par une majuscule, nous prenons les choses en cours. Il n’y a aucun point, pas de point final ; l’histoire se poursuit sans nous. Par ailleurs, le roman est truffé de références littéraires, de nombreux titres de romans sont insérés dans le texte et s’y fondent parfaitement, constituant de nombreux clins d’œil amusant au lecteur.



« Verre cassé » d’Alain Mabanckou

Points-247 pages.

Première édition au Seuil en 2005.

Prix des Cinq Continents de la Francophonie,

Prix Ouest-France/Etonnants voyageurs, Prix RFO du livre en 2005

dimanche 15 mars 2009

Henry Bauchau - Le boulevard périphérique


« Le boulevard périphérique » a reçu le Prix du Livre France Inter en 2008. Il a donc fait l’objet de nombreux articles, commentaires admiratifs, et je m’y associe pleinement.
Le narrateur se rend chaque jour à l’hôpital, visiter sa belle-fille Paule, atteinte d’un cancer. Elle débute un nouveau traitement et son entourage est suspendu au moindre souffle de la malade, au sourire faisant espérer un léger mieux. Pour parvenir à l’hôpital, nous suivons le narrateur dans ses longs voyages en transport en commun ou en voiture sur le boulevard périphérique, généralement très encombré. Nous sommes à Paris et sa banlieue. Il pleut, tout est gris, humide, les rues sont pleines de flaques. Les trajets sont pour lui extrêmement pénibles et fatiguants. Il se demande très tôt « Paule ne va pas mieux, pourquoi est-ce que je m’oblige à aller à l’hôpital, si souvent, alors que je ne puis rien pour elle ?" . C’est peut-être qu’il a alors l’impression de l’aider en partageant avec elle un peu de sa souffrance. Mais ces trajets sont aussi pour lui des moments propices pour laisser son esprit revenir au passé et repenser à 2 personnages qui ont marqué sa jeunesse: Stéphane, jeune homme lumineux, fort, rencontré au début de la guerre, entré très tôt dans la Résistance et le colonel Shadow, officier nazi, homme ténébreux, responsable de la mort de Stéphane dans de troubles circonstances qui nous seront révélées à la fin du livre.
Passé et présent s’entrelacent et sont prétexte à des réflexions sur la mort mais aussi sur l'espérance, les relations père-fils, l'éducation, l'amour... Pas de grandes démonstrations ici, l'auteur nous mène dans son récit par de petites touches relatant le quotidien. Le narrateur se révèle être d'une très grande douceur, pleine d’amour pour ses proches. Nous devinons une personne vraiment extraordinaire et très touchante.
Un grand livre pour moi.

« Le boulevard périphérique » d’Henry Bauchau
Actes Sud- 255 pages - Première publication: 2008
Prix du livre Inter en 2008