lundi 1 juin 2020

A Milena- Kafka 

Nous sommes en 1919. Milena Jesenkà, jeune femme d'origine tchèque, vit à Vienne avec son mari Ernst Pollak et se rend très souvent au café d'Arco, bien connu des intellectuels de l'époque. C'est là, qu'elle croise très brièvement Franz Kafka. Il lui écrira d'ailleurs un peu plus tard: "Je me rends compte que je ne parviens pas à me souvenir d'aucun détail précis de votre visage. La façon dont vous êtes sortie du café en passant entre les tables, votre silhouette, votre vêtement, cela je le vois encore". 
Milena cherche à travailler, elle donne des cours de tchèque mais effectue également quelques traductions. Elle a lu un des premiers textes de Kafka "le chauffeur" et le contacte pour lui demander s'il accepterait qu'elle le traduise. Commence alors une correspondance impressionnante, passionnée, exaltée dont la plupart des lettres provenant de Kafka ont été regroupées chronologiquement dans ce recueil. Malheureusement les lettres de Milena n'ont jamais été retrouvées.
Kafka, malade de la tuberculose commence la correspondance à Merano dans le Tyrol où il se fait soigner. Les premières lettres datent de mars 1920. "Votre Kafka",  "Très cordialement Kafka" deviennent très vite "Votre F.", puis "F" ou "Ton F" et finalement "Ton". Les lettres sont écrites dans l'urgence, avec fièvre. Plusieurs lettres par jour parfois. Entrecoupées d'attente de l'Autre: "Qu'en pensez-vous? Puis-je encore recevoir une lettre d'ici dimanche? Ce serait bien possible. mais cette soif de lettres est insensée. Est-ce qu'une seule ne suffit pas? Bien sûr, cela suffit, et pourtant on se penche loin en arrière et on boit les lettres et tout ce que l'on sait c'est qu'on veut continuer à boire"
Très affaibli, insomniaque, angoissé, Kafka apparaît ici dans toute sa complexité, ses doutes, ses interrogations, sa peur et son mal-être. "Ses allées et venues de lettres doivent cesser, Milena, elles nous rendent fous, on ne sait pas ce qu'on écrit, ni à quoi on répond, et de toute façon, on tremble. Je comprends très bien ton tchèque, j'entends aussi le rire, mais je m'enfouis dans tes lettres entre le mot et le rire, et alors je n'entends que le mot et de plus mon être c'est: la peur."
Kafka et Milena se rencontreront finalement durant 4 jours à Vienne et quelques heures dans une gare entre l'Autriche et la Tchécoslovaquie. La dernière lettre de Kafka publiée ici date du 25 décembre 1923 et est signée "Votre K.".
Un livre qui m'a donné envie d'en savoir plus sur la vie de Kafka, j'envisage par exemple de me procurer ses "Journaux"  mais également un recueil d'articles de Milena intitulé "Vivre, Lieu commun".
A Milena- Kafka.
Traduction de l'allemand et introduction par Robert Kahn. Editions "Nous"