mardi 30 juin 2009

Syngué sabour Pierre de patience - Atiq Rahimi


Quelque part en Afghanistan. Dans un appartement presque vide, une femme veille sur son mari, allongé sur un matelas à même le sol, alimenté par une simple solution d’eau sucrée-salée. Elle prie, elle lit le coran, elle s’allonge près de l’homme, elle cale sa respiration sur la sienne, lui touchant la poitrine, la barbe, les yeux. Puis tout d’un coup, elle n’en peut plus d’attendre, elle s’énerve, elle aimerait qu’il se réveille, elle a peur, elle est seule avec ses deux petites filles. Aux alentours, on se bat, les tirs sont très proches, un char entre dans le jardin de la voisine.
Atiq Rahimi plante son décor avec des phrases courtes, très sobres. Il est la voix «off », seule la femme parle. L’homme est immobile, dans le coma, il l'entend peut-être. Au début du récit, elle peine à dire ce qu’elle ressent, elle termine rarement ses phrases, peu habituée à exprimer ses idées. Puis petit à petit, elle se lâche, elle déverse sur son mari impassible, ses frustrations, ses craintes, ses malheurs de femme soumise, ses reproches. Il devient sa « pierre de patience » « Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu’à ce qu’un beau jour elle éclate… Et ce jour-là, on est délivré »
J’ai été rapidement totalement absorbée par le récit très émouvant de cette femme. Mais j'ai aussi trouvé ce texte extrêmement violent et éprouvant.
C’est le hasard, la présentation des livres de ma bibliothèque sur l’étagère des « nouveautés », mais je viens d’enchaîner trois lectures qui m’ont bien chamboulée, et j’aspire à des textes plus réjouissant ! Si vous avez des idées, conseils… n’hésitez pas !


"Syngué sabour" "Pierre de patience" d'Atiq Rahimi.
Edition P.O.L 2008 155 pages
Prix Goncourt 2008

samedi 27 juin 2009

L'intérieur de la nuit - Léonora Miano

Nous sommes en Afrique, dans un pays imaginaire nommé le Mboasu. Ayané, étudiante en France depuis plusieurs années revient à Eku, son village d'enfance, alors que sa mère, qu'elle n'a pas vue depuis 3 ans, est très malade.
Le récit se déroule essentiellement dans ce lieu très retiré, isolé géographiquement par des collines et par une brousse épaisse où personne n'ose s'y aventurer. Le village est la plupart du temps abandonné par les hommes, partis travaillés à la grande ville proche. Ne restent donc que les femmes, les enfants et les vieillards vivant encore suivant des traditions ancestrales.

"C'était aux femmes qu'il incombait de biner et de sarcler, les hommes ayant le devoir de prendre la route, selon une tradition dont le temps avait gommé l'origine et le sens" (p13).

Depuis quelques temps les villageois ne quittent plus le village, soumis à une injonction émise par une troupe de rebelles décidés à prendre le contrôle du pays. Un soir, un groupe de miliciens armés, pénètre dans le village. Commence alors la nuit où des actes effroyables vont être commis sous les yeux des villageois totalement impuissants et soumis.

Léonora Miano a donc peu à peu très bien planté le décor, nous amenant avec un grand talent à une scène clé de l’intérieur de cette nuit effrayante. Le ton est pourtant neutre, froid, presque scientifique. Nous sommes en présence d’un microcosme humain mis en place par l’auteur pour essayer d'analyser la réaction d’un groupe face à la violence et à la mort.
Par l’intermédiaire d’Ayané, partie depuis longtemps du village et qui n’a fait qu’effleurer les traditions de son peuple, L. Miano aborde aussi la douloureuse question de l’exil et de la recherche de l'identité.

« Allongée sur son lit, elle se posait la question de la valeur réelle du diplôme pour lequel elle souhaitait rentrer en France. Que lui apporterait-il comme certitudes, et comment lui permettrait-il d’être au monde moins douloureusement ? Pour le moment, il n’y avait que ces deux boules noires qui s’entrechoquaient dans sa poitrine, se livrant une bataille résolue : l’Afrique et elle. Bien sûr, elle aimait l’Afrique. Et qui pourrait ne pas l’aimer ? Tous ceux qui avaient vu cette terre avaient voulu la posséder. La difficulté c’était les gens. Ces gens qui étaient aussi elle-même et dont elle ne parvenait pas à s’approcher, sur lesquels son regard était toujours celui d’une étrangère. » (p203)

Un beau texte, fort, captivant mais aussi oppressant, nous mettant en présence de scènes parfois difficilement soutenables. Merci à Gangoueus de me l'avoir fait découvrir.

"L'intérieur de la nuit" de Léonora Miano
Editions Plon, 2005. 209 pages

mercredi 10 juin 2009

de A à X - John Berger

Dans ce livre, John Berger nous dit être "entré en possession de lettres envoyées et non envoyées"*1 , écrites par Aïda à l'homme qu'elle aime, Xavier, incarcéré à vie dans la prison de Suse pour activités terroristes. Elle n'a pas de droit de visite car ils ne sont pas mariés. Les lettres dont nous prenons connaissance constituent donc la seule possibilité d'échanges entre les deux personnages. Ce sont de magnifiques lettres d'amour, très simples, spontanées et donc aussi très émouvantes. Aïda essaie d'y faire revivre son quotidien, les minuscules détails qui illustrent sa vie et qui en font le sel:

"Une cuvette rouge entre mes pieds, je suis assise sur le toit, dans ce que tu appelles la quatrième chambre. De la confiserie du coin, dans la rue, s'élève une odeur de vanille brûlée. Une odeur du soir. On ne la sent jamais le matin. Il est déjà huit heures et demie, et les gens choisissent encore le trottoir qui était à l'ombre. Deux martinets volent entre les toits. De tout ce que je vois en cet instant, je sais que c'est çà qui te donnerait le plus de plaisir: le spectacle de ces martinets."*2

Elle se remémore aussi avec plaisir les différents moments importants de leur vie de couple: leur rencontre, un vol en avion où "X" était le pilote etc... Nous n'avons pas accès aux réponses de "X" mais parfois au dos des lettres, sont notées certaines de ses réflexions militantes qui contrastent durement avec la chaleur des messages d'Aïda.
Nous n'avons pas d'informations sur les lieux où se déroulent leur histoire mais Aïda décrit une ville assiégée où règne la peur, où l'armée est omniprésente et intervient avec violence. John Berger nous met sur la voie lors de la présentation des lettres au début du livre, Aïda est semble t-il une activiste, elle aussi, et en parle en utilisant un langage codé dans ses lettres. La dimension politique de ce livre est donc également très importante et passionnante.

J'en viens alors à parler d'une deuxième possibilité de lecture de ce livre qui m'a vraiment emballée, je dois le dire. John Berger nous offre une énigme. Je me suis par exemple posée de nombreuses questions sur le classement des lettres, elles se trouvent dans trois paquets différents et n'apparaissent donc pas dans un ordre chronologique. Pourquoi certaines lettres n'ont pas été envoyées? etc...

"Je pense à tes lettres que je relis tôt le matin, quand les jours entre se heurtent et s'entrechoquent comme des wagons de marchandises, et je pense à mes lettres que tu lis dans ta cellule, et je souris en pensant à leur immense secret qui est le nôtre, à toi et à moi".*3

J'ai effectué tout un tas de recherches sur les quelques pistes que nous proposent l'auteur, par exemple sur le nom de la ville où se trouve la prison "Suse", sur "Crocodilopolis", Cogito 1002 etc... J'ai ainsi pris connaissance de l'univers très riche de John Berger que je découvre ici. Bref ce livre m'a passionné!

*1: p13
*2: p114
*3: p199

Un clin d'œil à Aline pour cette lecture partagée.

"de A à X" de John Berger
Editions de l'Olivier-2009- 211 pages
Traduction par Katya Berger Andreadakis
Première édition en 2008 chez Verso

dimanche 7 juin 2009

Gilead - Marilynne Robinson

John Ames est pasteur à Gilead, une petite ville de l'Iowa, près du Kansas. A plus de 70 ans, son coeur est très faible et il sent venir sa mort. Il décide alors d'écrire une longue lettre à son jeune fils unique de 7 ans afin de lui parler de sa propre enfance aux côtés de son père et de son grand-père, eux-mêmes pasteurs, de le conseiller sur sa vie future et surtout de lui exprimer tout son amour.
Nous sommes dans une région où le climat est rude, sec, les habitants sont pour la plupart très misérables mais le narrateur nous décrit son attachement à cette terre, à cette ville où il a toujours vécu:

"J'aime la Grande Prairie! Tant de fois j'ai vu l'aube se lever, la lumière se répandre sur la plaine, sur chaque chose se mettre à rayonner au même instant tandis que le mot"bon" s'affirmait si profondément dans mon âme que j'étais ébahi qu'on m'autorise à assister à un tel spectacle".*1


En toile de fond de cette longue lettre, nous percevons la guerre de sécession, la lutte pour l'abolition de l'esclavage, les Free Soilers (abolitionistes), "ceux qui ne s'allient pas à la grande cause, les dough faces" *2 (les têtes molles) ainsi que les divisions que cela pouvaient engendrer, dans la propre famille du pasteur. Son grand-père, cheveux hirsutes, borgne, excentrique, distribuant autour de lui le peu qu'il possède était un activiste forcené de la lutte contre l'esclavage et prit même les armes finalement. Pour ces raisons, il fut, une grande partie de sa vie, en totale opposition avec son propre fils, le père du narrateur qui refusait le combat armé.
L'auteur nous parle donc essentiellement dans ce livre des relations père-fils, de la transmission des valeurs (le pasteur conserve dans son grenier des centaines de sermons qu'il a écrit tout au long de sa vie) mais aussi du bonheur de l'existence:

"Ces derniers temps j'ai réfléchi à l'existence. En fait, j'ai éprouvé tellement d'admiration pour l'existence que c'est à peine que j'ai pu en profiter convenablement"*3.

Le narrateur nous propose de nombreux allers-retours entre passé et présent et réussit à alterner en finesse, de profondes réflexions sur sa foi, sur ses propres limites dans sa relation aux autres, sur la mort etc...avec la description de détails futiles de son quotidien, les jeux de son fils avec son chat, le base-ball, les expressions sur le visage de sa femme ...

Ce livre m'a fait un bien fou!

*1: p330
*2: p237
*3: p68

"Gilead" de Marilynne Robinson
Actes Sud 2007. 331 pages
Pulitzer Prize for Fiction
National Book Critics Circle Award