C'est la lecture d'un échange intéressant entre Dany Laferrière et Lyonel Trouillot, publié il y a quelques temps par le blog
"Encres noires", qui m'a donné envie de lire "Yanvalou pour Charlie" à la suite de
"l'Enigme du retour". Les deux écrivains haïtiens abordent la vie en Haïti par deux approches totalement différentes mais qui se complètent. Alors que l'écriture poétique de D. Lafferière permet d'adoucir la dure réalité haïtienne, nous la prenons en pleine figure chez L. Trouillot.
Charlie, un jeune garçon de la rue à Port-au-Prince, débarque en détresse dans la vie de Mathurin D. Saint-Fort pour lui demander de l'aide. Ce dernier, brillant avocat, est originaire du même petit village que Charlie mais a cherché à gommer tout ce qui représente sa vie antérieure, jusqu'à son nom. Il a réussi à se construire une vie sans vie, bien calfeutrée, sans plaisir mais aussi sans heurt, sans émotion, sans blessure.
"Depuis mon départ du village, j'ai toujours joué pour moi. Et je jouerai toujours pour moi. C'est comme çà. Je suis comme çà. Les expériences n'ont pour moi aucune valeur en soi. Je ne retiens des évènements et des rencontres que la somme des procédés de construction de soi et d'autoprotection qui pourront m'être utiles. Je ne saigne jamais du coeur et j'ai rompu depuis longtemps avec les douleurs affectives. C'est plus simple." (p22)
L'arrivée de Charlie va bien entendu très rapidement faire basculer cet édifice qu'il s'était construit peu à peu en le replongeant dans la rue, la pauvreté, la violence mais aussi la solidarité, et les relations humaines passionnelles. Il va se retrouver dans cet enfant, ne sachant plus parfois si les propos qu'il rapporte viennent de lui ou de Charlie.
"Le premier jour, voilà ce que tu as dit. Tu as dit aussi de te pardonner, que tu n'avais pas le choix. Je crois que tu l'as dit, mais je n'ai pas de certitude. Cette partie-là, je ne sais plus si elle est de moi ou si elle est de toi. Si je l'ai lue dans tes yeux sans que tu la prononces. Ou si je l'ai inventée, après. Aujourd'hui je n'arrive pas toujours à distinguer mes mots des tiens. Il me semble que nous avons marché en nous tenant la main pour traverser beaucoup de choses."(p62)
Nous retrouvons comme chez D. Laferrière l'opposition à Port-au-Prince entre les quartiers des riches, aseptisés, sur les hauteurs, loin des centres villes et ceux des pauvres dans les bas-fonds, la boue, le bruit des autres. Mais nous sommes ici parfois très malmené par L. Trouillot qui nous fait partager la dure réalité des laissés-pour-compte. Malgré tout, ce livre nous délivre finalement un message d'espoir, d'amour, par le biais d'une correspondance entre Mathurin et une femme qu'il aime depuis toujours.
"Yanvalou pour Charlie" de Lyonel Trouillot
Edition Actes Sud- 2009
175 pages