samedi 27 juin 2009

L'intérieur de la nuit - Léonora Miano

Nous sommes en Afrique, dans un pays imaginaire nommé le Mboasu. Ayané, étudiante en France depuis plusieurs années revient à Eku, son village d'enfance, alors que sa mère, qu'elle n'a pas vue depuis 3 ans, est très malade.
Le récit se déroule essentiellement dans ce lieu très retiré, isolé géographiquement par des collines et par une brousse épaisse où personne n'ose s'y aventurer. Le village est la plupart du temps abandonné par les hommes, partis travaillés à la grande ville proche. Ne restent donc que les femmes, les enfants et les vieillards vivant encore suivant des traditions ancestrales.

"C'était aux femmes qu'il incombait de biner et de sarcler, les hommes ayant le devoir de prendre la route, selon une tradition dont le temps avait gommé l'origine et le sens" (p13).

Depuis quelques temps les villageois ne quittent plus le village, soumis à une injonction émise par une troupe de rebelles décidés à prendre le contrôle du pays. Un soir, un groupe de miliciens armés, pénètre dans le village. Commence alors la nuit où des actes effroyables vont être commis sous les yeux des villageois totalement impuissants et soumis.

Léonora Miano a donc peu à peu très bien planté le décor, nous amenant avec un grand talent à une scène clé de l’intérieur de cette nuit effrayante. Le ton est pourtant neutre, froid, presque scientifique. Nous sommes en présence d’un microcosme humain mis en place par l’auteur pour essayer d'analyser la réaction d’un groupe face à la violence et à la mort.
Par l’intermédiaire d’Ayané, partie depuis longtemps du village et qui n’a fait qu’effleurer les traditions de son peuple, L. Miano aborde aussi la douloureuse question de l’exil et de la recherche de l'identité.

« Allongée sur son lit, elle se posait la question de la valeur réelle du diplôme pour lequel elle souhaitait rentrer en France. Que lui apporterait-il comme certitudes, et comment lui permettrait-il d’être au monde moins douloureusement ? Pour le moment, il n’y avait que ces deux boules noires qui s’entrechoquaient dans sa poitrine, se livrant une bataille résolue : l’Afrique et elle. Bien sûr, elle aimait l’Afrique. Et qui pourrait ne pas l’aimer ? Tous ceux qui avaient vu cette terre avaient voulu la posséder. La difficulté c’était les gens. Ces gens qui étaient aussi elle-même et dont elle ne parvenait pas à s’approcher, sur lesquels son regard était toujours celui d’une étrangère. » (p203)

Un beau texte, fort, captivant mais aussi oppressant, nous mettant en présence de scènes parfois difficilement soutenables. Merci à Gangoueus de me l'avoir fait découvrir.

"L'intérieur de la nuit" de Léonora Miano
Editions Plon, 2005. 209 pages

6 commentaires:

  1. Bonjour Anne,

    Je suis heureux que vous ayez apprécié ce texte. Un texte fort. Dur. Ecris par un auteur qui n'hésite pas à affronter certains démons de ce continent. Faut-il accepter tous les compromis pour sauvegarder un groupe? N'y-a-t-il par certaines compromissions qui altèrent les valeurs de ce groupe? Elle offre une réflexion interessante.

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  2. Bonjour Gangoueus,
    Je ne me suis pas risquée à parler des "démons" de l'Afrique dans la mesure où je connais très peu ce continent, mieux cependant depuis que je lis votre blog. J'ai pourtant été sensible aux propos de L.Miano qui décrit finement les liens compliqués,développés entre les membres d'un groupe mais aussi les mécanismes qu'ils mettent en oeuvre pour exclure l'un des leurs qui ne se conforme pas à la règle générale. J'ai été aussi particulièrement sensible aux questionnements d'Ayané sur le bienfondé de son choix de partir en France faire ses études se coupant ainsi de son village natal et de sa famille.

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  3. Bonjour Anne,
    Effectivement, il y a des aspects du propos de Miano qui dépasse la spécificité de ce groupe.
    Vous faites bien de relever la démarche de rupture ou en tout cas non conformiste du père d'Ayané qui introduit une étrangère dans le clan... Le mécanisme de rejet est frappant. Excessif pour moi, parce que j'ai le sentiment que dans les groupes dont je suis originaire, l'assimilation se fait plus aisement. Quoique.
    Mais, j'ai le sentiment qu'il y a beaucoup de provocation chez Miano, un désir de sortir le lecteur averti de ses gonds. Un besoin de secouer le cocotier voir de l'arracher...
    Parce qu'il me semble que l'Afrique s'est énormement nourri de tous ses étudiants qui sont partis en Europe et qui sont revenus hautains avec un sentiment de supériorité avec la volonté d'appliquer des modèles qu'ils n'ont pas pris le soin d'adapter aux réalités locales...
    J'ai plus le sentiment que l'Afrique a plus souffert de la porosité de ses élites que de l'hermétisme des populations rurales...
    Il y aurait beaucoup à dire sur ce roman.

    Sur les questionnements d'Ayané, la lecture qui me reste à l'esprit c'est qu'elle n'avait pas d'autre choix que de partir se chercher ailleurs. Elle n'appartenait pas au clan.

    @ suivre.

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  4. Oui effectivement il y aurait énormément de choses à dire sur ce livre. Concernant Ayané, je n'ai pas compris la raison pour laquelle L. Miano ne l'a pas fait être témoin de la scène principale de cette nuit-là. Qu'en pensez-vous?

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  5. Je me suis également posé la question.
    Est-ce que Miano souhaite la corruption de cette scène? Peut-être veut-elle qu'elle survive à cette situation, vu son tempérament, elle ne se serait pas laissée faire par les miliciens et aurait fini comme Epa (le garçon zélé si mon souvenir est bon). Or il me semble qu'Ayané doit questionner ses femmes après coup. Pour comprendre. Pour dénoncer. Peut-on dénoncer quand on est compromis?
    Peut-être aussi que Miano fait écho à toutes ses initiations en Afrique auxquelles toute personne n'appartenant pas à un clan ne peut participer.

    Ayané n'appartient pas au clan.

    Pour Miano, la réaction intervient à l'interieur du clan par cette femme qui tue son mari. Il y a beaucoup dans cette scène. L'immobilisme du clan semble être rompu. Miano est-elle entrain d'exprimer l'idée que le meilleur des changements pour cette communauté est celui généré par une réaction interne?
    Ce qui est intéressant, c'est l'entretien d'Ayané avec sa tante. Rien que pour cet entretien, il me semble qu'elle ne doit pas assister pour se questionner sur le mutisme de ce groupe...

    Et vous, qu'en pensez-vous?

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  6. Ce que j'en pense? Eh bien, je suis d'accord avec vous.
    Concernant la tante d'Ayané, je trouve qu'il s'agit de la personne qui tire le mieux son épingle du jeu dans ce récit. Elle se situe entre "modernité" et "tradition" et fait le lien entre Ayané et le clan. Lors de cet entretien justement, elle arrive à faire réfléchir Ayané qui décide finalement de rester plusieurs jours afin de mieux comprendre les gens de son village, elle ne repart pas tout de suite en France. Enfin, c'est comme cela que je l'ai compris.
    Je suis d'accord aussi avec le fait que la réaction de la femme qui tue son mari est très importante, c'est vraiment la révolution dans le clan. Cette femme défie l'autorité masculine et aussi celle des anciens.
    Concernant la question sur Ayané, je pense aussi que si elle avait été présente, l'auteur devait alors prendre position, trancher sur les réactions qui peuvent conduire à une sortie acceptable face au problème posé par les miliciens. Et il me semble que ce n'est pas très facile à trancher.
    Merci pour cet échange!

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