mercredi 25 novembre 2009

Sorj Chalandon - La légende de nos pères

Le récit débute par un enterrement. Un enterrement dans le froid, la grisaille du Nord. Le narrateur enterre son père, un ancien résistant, un homme simple et discret.
"Ce héros sans lumière, ce résistant, ce brave, ce combattant dans son coin d'ombre" (p22).
Beaucoup de regrets lors de ce triste jour mais le plus grand est d'être passé à côté de la vie de cet homme, pas du papa mais du père.
"J'avais manqué mon père, mais il ne m'avait pas aidé non plus. La paix l'avait rendu à la vie simple, aux souvenirs de peu de mots. Il se mêlait rarement aux célébrations communes. Il commémorait à regret. Il avait trouvé la guerre terrible, et la Libération injuste."(p23)
Le narrateur, ancien journaliste à la Voix du Nord, est devenu par hasard un "biographe familial". Il écoute puis retranscrit par ses mots le récit de la vie des gens désireux de transmettre à leur descendance leurs souvenirs, des anecdotes de leur existence, qui prennent finalement l'apparence d'un livre. Un jour, une jeune fille mystérieuse, Lupuline, aux chaussures rouges, vient lui commander la biographie de son père. Elle aimerait que les histoires merveilleuses et passionnantes qu'il lui racontait dans son enfance soient retranscrites. Il s'agit essentiellement de récits d'épisodes de la Résistance qui ont fait de ce père, un Héros. Le narrateur voit là une chance de rattraper sa propre histoire et accepte de rencontrer le vieil homme et de l'écouter.
S. Chalandon m'a immédiatement emporté dans cette histoire familiale. Le thème de la transmission me touche. Les phrases sont courtes, percutantes. L'auteur aime trouver les mots justes pour décrire au plus près ses personnages. Il cherche les rides, les regards, les mains qui se croisent. Le récit se déroule à Lille, lors de la canicule de 2003 et nous percevons très bien la chaleur qui se fait de plus en plus oppressante sur les corps, sur l'atmosphère de l'appartement, alors que les questions du narrateur se font incisives et dérangeantes.
J'ai beaucoup apprécié ce livre.

"La légende de nos pères" de Sorj Chalandon
Editions Grasset 2009 - 254 pages

samedi 21 novembre 2009

Du temps pour lire...

C'est sûr, elle arrive à chaque fois, fatalement, la question. La question est: "Qu'est-ce qu'on fait ce week-end???" Aïe!! Ce serait bien parfois de pouvoir répondre: "on s'installe bien confortablement dans le canapé, et on lit toute la journée..., OK toute l'après-midi...".

samedi 7 novembre 2009

Yanvalou pour Charlie - Lyonel Trouillot

C'est la lecture d'un échange intéressant entre Dany Laferrière et Lyonel Trouillot, publié il y a quelques temps par le blog "Encres noires", qui m'a donné envie de lire "Yanvalou pour Charlie" à la suite de "l'Enigme du retour". Les deux écrivains haïtiens abordent la vie en Haïti par deux approches totalement différentes mais qui se complètent. Alors que l'écriture poétique de D. Lafferière permet d'adoucir la dure réalité haïtienne, nous la prenons en pleine figure chez L. Trouillot.

Charlie, un jeune garçon de la rue à Port-au-Prince, débarque en détresse dans la vie de Mathurin D. Saint-Fort pour lui demander de l'aide. Ce dernier, brillant avocat, est originaire du même petit village que Charlie mais a cherché à gommer tout ce qui représente sa vie antérieure, jusqu'à son nom. Il a réussi à se construire une vie sans vie, bien calfeutrée, sans plaisir mais aussi sans heurt, sans émotion, sans blessure.

"Depuis mon départ du village, j'ai toujours joué pour moi. Et je jouerai toujours pour moi. C'est comme çà. Je suis comme çà. Les expériences n'ont pour moi aucune valeur en soi. Je ne retiens des évènements et des rencontres que la somme des procédés de construction de soi et d'autoprotection qui pourront m'être utiles. Je ne saigne jamais du coeur et j'ai rompu depuis longtemps avec les douleurs affectives. C'est plus simple." (p22)
L'arrivée de Charlie va bien entendu très rapidement faire basculer cet édifice qu'il s'était construit peu à peu en le replongeant dans la rue, la pauvreté, la violence mais aussi la solidarité, et les relations humaines passionnelles. Il va se retrouver dans cet enfant, ne sachant plus parfois si les propos qu'il rapporte viennent de lui ou de Charlie.

"Le premier jour, voilà ce que tu as dit. Tu as dit aussi de te pardonner, que tu n'avais pas le choix. Je crois que tu l'as dit, mais je n'ai pas de certitude. Cette partie-là, je ne sais plus si elle est de moi ou si elle est de toi. Si je l'ai lue dans tes yeux sans que tu la prononces. Ou si je l'ai inventée, après. Aujourd'hui je n'arrive pas toujours à distinguer mes mots des tiens. Il me semble que nous avons marché en nous tenant la main pour traverser beaucoup de choses."(p62)

Nous retrouvons comme chez D. Laferrière l'opposition à Port-au-Prince entre les quartiers des riches, aseptisés, sur les hauteurs, loin des centres villes et ceux des pauvres dans les bas-fonds, la boue, le bruit des autres. Mais nous sommes ici parfois très malmené par L. Trouillot qui nous fait partager la dure réalité des laissés-pour-compte. Malgré tout, ce livre nous délivre finalement un message d'espoir, d'amour, par le biais d'une correspondance entre Mathurin et une femme qu'il aime depuis toujours.

"Yanvalou pour Charlie" de Lyonel Trouillot
Edition Actes Sud- 2009
175 pages