lundi 25 mai 2009

Annie Ernaux - La place

Lorsque j'ai créé ce blog, j'ai été confrontée à la tâche difficile de rédiger "mon profil". Difficulté, vite contournée dans la mesure où je n'ai pratiquement rien écrit. Mais il m'était possible de faire une liste de "mes livres préférés" ou "auteurs préférés" par exemple, comme j'ai pu le voir chez certains blogueurs. Dans cette dernière rubrique, j'aurai certainement pu y mettre Annie Ernaux.

Je me souviens très bien des circonstances dans lesquelles j'ai lu, j'ai dévoré, "La place", il y a quelques années. Je me revois le livre à la main, ne le lâchant pas avant que sa lecture ne soit terminée. En me baladant récemment sur la blogosphère, j'ai été étonnée de voir un billet et commentaires très critiques sur ce court récit et de constater combien nos lectures peuvent être si différentes. J'ai donc eu envie de relire ce livre.

Quelques temps après la mort de son père, la narratrice, A. Ernaux, ressent le besoin d'écrire sur sa vie:

"je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l'adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n'a pas de nom. Comme de l'amour séparé." *1

Avec une écriture qui se veut être une "écriture plate"*2, l'auteure choisit minutieusement et cherche à toucher au plus près les différents évènements qui ont marqué et constitué la vie de son père mais aussi construit sa propre existence. Initialement travailleur agricole, il devint ensuite ouvrier puis enfin propriétaire avec sa femme d'un petit café-épicerie. Il s'agit donc ici d'un destin ordinaire, une vie de peu où la moindre amélioration est le fruit d'un dur labeur. Peu à peu la jeune fille qu'est A. Ernaux, se détache de ce père, de son monde pour suivre des études de lettres et se marier. L'auteure cherche alors à mettre en évidence les petits riens qui illustrent et qui pourraientt expliquer cet éloignement.

On ressent beaucoup de tristesse, de regrets dans ce récit très émouvant. J'ai donc de nouveau énormément apprécié ce livre. A. Ernaux a un style vraiment particulier que j'ai retrouvé par la suite dans ses autres livres comme "Une femme" ou "la honte". Son grand talent vient du fait qu'en décrivant le particulier, qu'en retraçant sa propre histoire, elle réussit à mettre en avant les éléments qui ont constitué une époque et nous pouvons ainsi tous nous y retrouver.


*1:p23
*2:p24
"La place" d'Annie Ernaux
Gallimard-1983-114 pages


Prix Renaudot en 1984

jeudi 14 mai 2009

Victor Hugo - Le dernier jour d'un condamné

Lors d'un retour dans la maison familiale pendant les vacances, j'ai réussi in extremis à sauver d'une destruction certaine des livres ayant appartenu à mes frère et sœur. Ce sont des livres dit "classiques" que j'ai donc ramenés chez moi et avec parmi eux "Le dernier jour d'un condamné".

Il s'agit ici d'un récit à la première personne d'un prisonnier décrivant ses états d'âme, ses craintes, ses regrets, ses rêves alors qu'il sait depuis 5 semaines qu'il sera mis à mort sur la place de Grève.
Le texte présente trois parties correspondant à des lieux mais aussi à des espaces temps différents se terminant par la mort: le condamné est dans son cachot, il est ensuite transféré à la conciergerie, il est en place de Grève. L'auteur réussit très bien à nous transmettre l'état de tension croissante dans lequel se trouve le prisonnier passant par des phases d'abattement total, d'espoir, de colère et de résignation. Nous accompagnons totalement le prisonnier vers sa fin.
Une des originalités du texte pour l'époque est qu'aucune information nous est donnée sur le condamné: nous ne connaissons pas son identité, son origine, nous savons qu'il y a eu crime mais nous ne savons pas dans quelles circonstances etc... Par ce biais, V. Hugo entend bien sûr tendre à l'universalité du propos mais cependant, il semblerait au vue des différentes notes supplémentaires de l'époque qui nous sont fournies dans la collection Folio classique que cela ait gêné la lecture de certains de ces contemporains. Nous pouvons lire par exemple un extrait d'une critique de l'époque:

"Dérober ainsi au lecteur les éléments qui eussent satisfait sa curiosité, c'est à dire, en fait, le priver du mobile même de sa lecture. N'est-ce pas là, sur le plan de la plus élémentaire stratégie narrative, une erreur grave sinon une inconvenance?"*1

Par ailleurs, par les dires mêmes du condamné, nous sommes certains qu'il a commis le crime dont il est accusé. L'auteur ne discute donc pas du fait qu'il y a peut-être une erreur de jugement. Il décrit seulement l'ignominie de la mise à mort.

"Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée poignante que dans l'homme qu'ils retranchent il y a une intelligence, une intelligence qui avait compté sur la vie, une âme qui ne s'est point disposée pour la mort? Non. Ils ne voient pas dans tout cela que la chute verticale d'un couteau triangulaire, et pensent sans doute que pour le condamné, il n'y a rien avant, rien après."*2

Le beau texte se suffit à lui-même pour nous captiver mais la présence des différents documents en fin d'ouvrage m'a aussi beaucoup intéressée et m'a permis de me plonger dans cette période vraiment fascinante du 19ème siècle. J'ai appris par exemple qu'il s'en ait fallu de peu pour que la peine de mort soit abolie dès 1830. Ce récit m'a enfin permis d'évaluer combien les propos de Victor Hugo étaient modernes.

"Tout est prison autour de moi, je retrouve la prison sous toutes les formes, sous la forme humaine comme sous la forme de grille ou de verrou. Ce mur, c'est de la prison en pierre, cette porte, c'est de la prison en bois, ces guichetiers, c'est de la prison en chair et en os. La prison est une espèce d'être horrible complet, indivisible, moitié maison, moitié homme. Je suis sa proie; elle me couve, elle m'enlace de tous ses replis. Elle m'enferme dans ses murailles de granit, me cadenasse sous ses serrures de fer et me surveille avec ses yeux de geôlier."*3

*1: p417
*2: p286
*3: p314

La collection Folio Classique présente aussi dans ce livre un autre récit "Bug-Jargal, dont je ne parlerai pas ici.

"Le dernier jour d'un condamné" de Victor Hugo précédé de "Bug-Jargal"
Préface de Roger Borderie
Folio classique- 442 pages
Editions Gallimard 1970 pour la préface, notices et notes.

mardi 12 mai 2009

Dinaw Mengestu - Les belles choses que porte le ciel

"Les belles choses que porte le ciel" fait partie de ces livres que je lis rapidement, pressée que je suis de connaître le dénouement de l'intrigue, mais aussi pour lesquels je regrette de devoir quitter si vite les personnages tant je m'y suis attachée.
J'ai tellement peur que l'histoire se termine mal, je ne le supporterai pas, que je lis la fin et des pages centrales avant d'avoir terminé réellement sa lecture.

Je l'ai pourtant choisi initialement uniquement pour son titre. "Les belles choses...", j'avais envie de positif, de réjouissant et de léger.

Léger est ce livre effectivement mais c'est seulement un petit air qu'il veut se donner, il aborde en effet des questions bien intéressantes. Le héros s'appelle Sepha Stephanos. Il a fui dans sa jeunesse l'Ethiopie lors de la révolution des années 70 et habite dans un quartier pauvre de Washington, occupé essentiellement par des noirs. Sa mère et son jeune frère sont encore au pays. Il est propriétaire d'une petite épicerie qui est au bord de la faillite et passe son temps libre en compagnie de deux amis, Kenneth originaire du Kenya et Joseph de la République démocratique du Congo qui viennent le rejoindre le soir venu. L'emménagement de Judith, jeune femme blanche cultivée et aisée, accompagnée de sa fille, dans la maison voisine va perturber la vie de Sepha mais aussi celle du quartier.
L'auteur nous montre la difficulté pour Sepha de trouver sa place dans cette deuxième patrie alors qu'il est en exil depuis de nombreuses années, sa nostalgie pour l'Ethiopie et pour son ancienne vie avec sa famille. Il est confronté à la décision de choisir son nouveau style de vie:

"Soit je suis parti pour me créer une nouvelle vie, libre des contraintes et des limites culturelles, soit j'ai tourné le dos à tout ce que j'étais et à tout ce qui m'avait constitué" *1

Le récit de la vie de Sepha a Washington est entrecoupé de retours douloureux, brutaux, sanglants sur le passé en Ethiopie qui offrent un contraste frappant avec son nouveau quotidien. Il est ici aussi beaucoup question de sa recherche de sentiment de sécurité. Il essaie de se créer un doux cocon avec ses amis, il aime ses habitudes, les éclairages chaleureux de son épicerie, il recherche la chaleur humaine dans les bus bondés etc...

Sepha est un personnage vraiment attachant, plein d'humour qui nous donne à voir ses espoirs déçus, mais aussi ses petites réussites, son sentiment de solitude, sa recherche d'amour... Sentiments auxquels nous pouvons tous nous identifier.

*1: p160


"Les belles choses que porte le ciel" de Dinaw Mengestu
Albin Michel- Terres d'Amérique- 2007
304 pages
Traduction de Anne Wicke

vendredi 8 mai 2009

Stéphane Audeguy - Nous autres

Pierre, photographe à Paris, débarque au Kenya pour récupérer le corps de son père, mort dans de mystérieuses circonstances. Il ne l’a vu qu’une seule fois auparavant alors qu’il avait 13 ans et connaît donc très peu de choses de sa vie. Ses premiers contacts avec les lieux sont ceux de la majorité des touristes mais peu à peu Pierre s’immerge dans le pays, apprend à le connaître et à l’aimer.
Par de très courts chapitres, l’auteur insère dans son récit la description de destins tragiques de kenyans soumis à l’exploitation de grandes firmes internationales, de blancs désabusés, souvent parachutés dans ce pays et venant y vivre leur spleen et leurs échecs. Passé et présent s’entremêlent grâce à la voix des « Nous autres » qui se manifestent parfois dans le récit et qui viennent doucement souffler sur l’épaule de Pierre. Ce sont les témoins du passé, les esprits bienveillants des ancêtres :

« …, depuis le temps, et dans cette nuit du Kenya, nous veillons sur les morts et sur nos descendants, sur les bantous qui jadis s’en allèrent vers la côte, il y de çà bien deux mille deux cents ans, sur les colons arabes et les colons persans, sur les nomades nilotiques, sur les portugais et même sur les anglais ». *1

Comme un fil rouge dans le roman nous suivons aussi en parallèle la construction de la voie ferrée qui relie Mombasa au lac Victoria. Voie ferrée, source de souffrances pour les travailleurs venant des quatre coins du monde pour la construire mais qui sera finalement empruntée par Pierre lors d’un moment de bonheur.
Ce n’est pas un Kenya de cartes postales, Parcs nationaux et safaris, que nous présente ici S. Audeguy mais un pays de misère, de bidonvilles, de fer rouillé, de pollution, de discothèques sordides, de prostituées fatiguées. Cependant l’auteur nous fait aimer ce pays en nous contant aussi l'histoire de beaux personnages, croyant à leur bonne étoile et qui a force d’obstination et d’amour réussissent à trouver le bonheur et la sérénité.
La particularité du style de l'auteur que j'apprécie beaucoup, vient du fait qu'il ne nous livre pas les pensées, la psychologie des différents personnages. Il décrit les faits, leurs actions. Il est neutre. Nous devenons donc, comme les mystérieux "Nous autres", nous aussi de simples spectateurs bienveillants des différents destins qui nous sont racontés.

« Ici et là des chemins de terre rouge montent vers la large route. Des hommes et des femmes, le vêtement impeccable, la démarche élégante, s’avancent vers cette route et leurs pieds sont nus, ils tiennent à la main leurs chaussures. Dans le froid et le silence sortant des bidonvilles et des vallées humides, ils prennent leur place dans la file de ceux qui descendent vers la ville, et bientôt ils traversent le parc Uhuru, ils se rincent les pieds à de mornes fontaines, enfilent leurs chaussures et s’en vont travailler. Pendant une semaine, Pierre se promène, sans autre boussole que le hasard. »*2
Un très bon roman.

*1 : p29
*2: p121

Un clin d'œil à Aline pour cette lecture partagée.

« Nous autres » de Stéphane Audéguy
Gallimard- 2009
253 pages.