samedi 17 avril 2010

Un poème de Sylvia Plath: "Lettre d'amour"

Pas facile de formuler ce que tu as changé pour moi.
Si je suis en vie maintenant, j'étais alors morte,
Bien que, comme une pierre, sans que cela ne m'inquiète,
Et je restais là sans bouger selon mon habitude.
Tu ne m'as pas simplement une peu poussée du pied, non-
Ni même laissé régler mon petit oeil nu
A nouveau vers le ciel, sans espoir, évidemment,
De pouvoir appréhender le bleu, ou les étoiles.
Ce n'était pas çà. Je dormais, disons : un serpent
Masqué parmi les roches noires telle une roche noire
Se trouvant au milieu du hiatus blanc de l'hiver -
Tout comme mes voisines, ne prenant aucun plaisir
A ce million de joues parfaitement ciselées
Qui se posaient à tout moment afin d'attendrir
Ma joue de basalte. Et elles se transformaient en larmes,
Anges versant des pleurs sur des natures sans relief,
Mais je n'étais pas convaincue. Ces larmes gelaient.
Chaque tête morte avait une visière de glace.
Et je continuais de dormir, repliée sur moi-même.
La première chose que j'ai vue n'était que de l'air
Et ces gouttes prisonnières qui montaient en rosée,
Limpides comme des esprits. Il y avait alentour
Beaucoup de pierres compactes et sans aucune expression.
Je ne savais pas du tout quoi penser de cela.
Je brillais, recouverte d'écailles de mica,
Me déroulais pour me déverser tel un fluide
Parmi les pattes d'oiseaux et les tiges des plantes.
Je ne m’y suis pas trompée. Je t'ai reconnu aussitôt.
L'arbre et la pierre scintillaient, ils n'avaient plus d'ombres.
Je me suis déployée, étincelante comme du verre.
J'ai commencé de bourgeonner tel un rameau de mars :
Un bras et puis une jambe, un bras et encore une jambe.
De la pierre au nuage, ainsi je me suis élevée.
Maintenant je ressemble à une sorte de dieu
Je flotte à travers l'air, mon âme pour vêtement,
Aussi pure qu'un pain de glace. C'est un don.


"Lettre d'amour" de Sylvia Plath
in "Arbres d'hiver" précédé de "la Traversée"
Traduction de Françoise Morvan et Valérie Rouzeau
Poésie Gallimard- 1999

mercredi 14 avril 2010

Les femmes du braconnier - Claude Pujade-Renaud

Les deux premiers chapitres du roman, courts, définissent déjà très bien la personnalité des protagonistes principaux de ce roman: Sylvia Plath et Ted Hughes, alors deux jeunes poètes: "l'homme aux allures de bûcheron" est au zoo de Regent's park et s'arrête devant le jaguar, " ils se regardent longuement". Il écrira alors, "les poèmes sont des animaux qu'il faut traquer et capturer"; Sylvia Plath monte, sans le maîtriser, un bel étalon. Le cheval se lance au galop, s'emballe, mais la jeune femme s'accroche désespérément et tient bon contre toute attente. Cette folle chevauchée restera un grand moment de la vie de la jeune femme. Les deux artistes se rencontrent ensuite lors d'une fête étudiante très arrosée. Ils se plaisent immédiatement et commencent alors, très vite, une vie à deux; une vie trépidante, faite de voyages, de maisons à la campagne, d'enfants mais aussi une vie d'écriture, de poésies, de créations partagées ou solitaires. Le couple se fait bientôt remarquer dans le milieu littéraire et force l'admiration de son entourage. Cependant, Ted Hughes met fin à ce bonheur, en débutant une liaison amoureuse avec Assia Wevill, elle-même poète.

J'ai vraiment apprécié la lecture de ce roman de Claude Pujade-Renaud. Il ne s'agit pas d'un récit proprement dit. Nous suivons l'histoire de ce trio amoureux par les voix, les correspondances des membres de leur entourage: la mère de Sylvia, les voisins, une concierge, des amis etc... A chaque personnage, un chapitre très court. Beaucoup de rythme donc dans ce texte dont la réussite tient aussi de la personnalité vraiment étonnante, passionnante et complexe de ces artistes et notamment de S. Plath, qualifiée de bipolaire:

"Chez cette jeune femme alternent, étonnamment proches , la glaciation- tout se fige, paysage lunaire, gel mortifère - et l'éruption volcanique. Comme si la lave de l'inconscient était là, très proche, prête à crever la croûte de surface, à se répandre, brûlant et ravageant sur son passage." p98

Ce texte propose aussi une réflexion sur l'écriture, le besoin d'écrire. Nous assistons à la création d'une oeuvre littéraire directement en lien, imbriquée dans la vie de l'artiste. Plaisir de l'écriture, qui ne suffira pas à guérir S. Plath de ses nombreux tourments:

"Vous savez, je l'ai compris depuis peu: écrire ne sert à rien. je veux dire, ne protège pas contre le désespoir ou la dépression. je l'ai cru, lorsque j'avais dix-huit ans ou vingt ans. plus maintenant. Non, écrire ne guérit de rien. On recoud la plaie au fil des mots, on enfouie le mal sous l'écorce du langage. la plaie se referme ligneuse. en-dessus, çà s'enkyste. ou çà suppure".
Un beau texte, une belle écriture qui offre une ouverture intéressante sur les oeuvres de ces trois poètes.

"Les femmes du braconnier" de Claude Pujade-Renaud.
Editions Actes Sud 2010- 347 pages.